« Il faut corriger l’asymétrie » entre Europe et Etats-Unis dans la lutte contre la corruption

Les progrès législatifs récemment accomplis en France et en Europe pour lutter contre la corruption méritent d’être confortés. Alors que le Foreign Corruption Practices Act (FCPA) s’applique dans toute sa rigueur aux Etats-Unis depuis 1977, il aura fallu attendre 1997 pour que, dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), soit adoptée la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, et 2005, pour que l’ONU publie la Convention des Nations unies contre la corruption.

Ce n’est que vingt ans plus tard que la loi Sapin 2 a été adoptée par le parlement français, avec la volonté d’appliquer dans notre pays les meilleurs standards internationaux de la lutte contre la corruption.

Trois grands piliers

Il n’est guère surprenant, dans un tel contexte, que le juge américain ait pris prétexte de l’extrême faiblesse des dispositifs de prévention et de pénalisation de la corruption en France et en Europe, pour légitimer l’extraterritorialité de ses procédures.

Or les mesures de prévention de la corruption prévues par les dispositions législatives et réglementaires les plus récentes ont aussi pour objectif de créer les conditions d’une concurrence économique équitable, seule à même de garantir une croissance durable dans une économie de plus en plus concurrentielle. Ce qui vaut pour le marché global vaut a fortiori pour le marché unique européen. On ne peut à la fois regretter la dimension asymétrique de la relation euroatlantique sur les sujets de conformité et de lutte anticorruption et ne rien faire pour la rééquilibrer.

Sur la question de la prévention de la corruption et de la pénalisation de ceux qui l’organisent, la mise en œuvre d’un paquet compliance (conformité) européen devrait constituer l’un des objectifs prioritaires de la mandature européenne qui s’ouvrira en 2020. Pour tenter de corriger l’asymétrie de la relation euroatlantique, il devra reposer sur trois grands piliers.

Le premier consistera à inscrire dans des directives ou des règlements européens les objectifs de lutte contre la corruption jusqu’alors contenus dans les conventions ou recommandations de l’OCDE, inégalement mises en œuvre par les Etats membres. En intégrant ces principes dans le droit de l’Union, comme le traité de Lisbonne en ouvre la possibilité, l’Union européenne conférera une même force obligatoire à des dispositions identiques, obligeant les entreprises de tout Etat membre à se conformer aux mêmes règles éthiques, précisément définies.

Risque réputationnel majeur

Un Etat membre défaillant s’exposerait non seulement à une condamnation et à des astreintes lourdes, mais aussi à un risque réputationnel majeur. L’état de droit y gagnera en force, la démocratie en respectabilité et les entreprises en compétitivité.

Ce paquet compliance européen pourra définir les conditions d’une intervention extraterritoriale des différents juges européens en charge des poursuites pour fait de corruption. Ce que la loi Sapin a esquissé, en facilitant l’intervention du juge pénal français pour des faits de corruption d’agent public étranger ou de trafic d’influence d’agents publics étrangers, le juge européen devrait pouvoir le faire, dès lors qu’au sein du marché unique les mêmes dispositifs de prévention et de lutte contre la corruption seront mis en œuvre.

Les mêmes critères que ceux qui prévalent aux Etats-Unis pour définir les conditions de l’extraterritorialité des poursuites en matière de corruption devraient être retenus.

Enfin, la fermeture des marchés publics européens – voire de l’accès à une activité réglementée – à tout acteur économique ayant refusé de se conformer à ces principes serait l’issue logique d’un processus au terme duquel aucun dispositif transactionnel adossé à une amende et à une réparation du préjudice occasionné à la victime n’aurait pu être mobilisé, selon les modalités du DPA (accord de poursuite différée) américain, qui a désormais son équivalent français avec la convention judiciaire d’intérêt publique (CJIP) prévue par l’article 22 de la loi Sapin 2.

Etablir les conditions d’un niveau de jeu égal

Les évolutions récentes du droit français relative à la transparence de la vie publique, à la lutte contre la grande délinquance financière et à la fraude fiscale, mais aussi à la prévention de la corruption, ne constituent pas des contraintes supplémentaires imposées aux entreprises ou à certaines institutions publiques pour les étouffer sous des réglementations nouvelles. Elles ne sont pas davantage une mauvaise manière faite aux décideurs économiques.

En réalité, l’avènement de la compliance au plan international et plus localement dans l’entreprise peut constituer une opportunité historique de protéger un modèle économique et social au service de la croissance durable et de l’allocation de l’argent public aux seuls objectifs d’intérêt général dans le respect des valeurs éthiques, sans lesquelles il n’est pas de paix sociale possible, ni de confiance dans les institutions démocratiques, ni d’efficacité à long terme dans la lutte contre la pauvreté, ni de victoire envisageable contre les organisations criminelles internationales.

Pour l’Europe, c’est aussi un levier pour établir les conditions d’un niveau de jeu égal entre l’Union européenne et les Etats-Unis et corriger l’asymétrie dont pâtissent aujourd’hui les entreprises européennes.

Par Bernard Cazeneuve (Ancien premier ministre, avocat au barreau de Paris, associé au sein du cabinet August Debouzy) et Pierre Sellal (Ancien ambassadeur de France)

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