Il faut négocier avec la Corée du Nord

Le président Trump effectue cette semaine son premier voyage en Asie. La situation dans la péninsule coréenne sera au centre des discussions. Il serait absurde et dangereux de faire passer Kim Jong-un pour un tyran psychopathe et belliqueux.

La longue histoire du Pays du Matin calme fut très agitée. Comme un bras tendu entre la Chine continentale et le Japon insulaire, la péninsule fut un lieu de passage et d’invasion. Sa situation géopolitique détermina son histoire, globalement douloureuse. Le pays fut rarement unifié et indépendant. Il vécut sous les influences mandchoue, mongole, chinoise et japonaise. Les populations souffrirent de perpétuelles occupations. Au XVe siècle, le pays fut, pour une centaine d’années seulement, uni par des empereurs qui permirent un développement culturel remarquable. La désunion et le déclin conduisirent à la fermeture des frontières. L’isolement fut total; les côtes littorales furent transformées en déserts inhabités. L’économie stagnait et l’insécurité régnait. Le Japon imposa, dans le dernier quart du XIXe siècle, un traité inégal d’alliance, qui fut suivi d’un protectorat, puis, après sa victoire contre la Russie, d’une annexion, en 1910.

Deux millions de morts

La colonisation fut très sévère et d’une extrême dureté pendant la Seconde Guerre mondiale. Le cas des jeunes femmes réquisitionnées de force, pour le «réconfort» de la soldatesque, est connu. L’ensemble de la population fut soumis à une forme d’esclavagisme brutal. Ces réalités historiques avérées ont marqué les mémoires. La résistance s’était organisée autour de deux personnalités qui se révélèrent ultérieurement être des dictateurs: Syngman Rhee, le nationaliste, qui prit le pouvoir au Sud, et Kim Il-sung, le communiste, au Nord. Après la capitulation japonaise, l’Union soviétique et les Etats-Unis divisèrent le pays en zones d’occupation, le long du 38e parallèle. Ces puissances avaient besoin d’une plateforme d’observation sur la région, en particulier sur la Chine, où Mao Tsé-toung achevait sa conquête du pouvoir.

En juin 1950, alors que les troupes américaines du Pacifique démobilisaient, des forces de Corée du Nord franchirent la ligne de partage. Le Conseil de sécurité fut saisi. L’URSS pratiquait alors la «politique de la chaise vide». Son absence ne fut pas considérée comme un veto. Une intervention militaire multinationale trouvait ainsi sa légitimité. Elle fut conduite sous l’égide des Etats-Unis. Le front fluctua. Dès que les forces internationales s’approchèrent de la frontière chinoise, un million de «volontaires» déferlèrent. Le général MacArthur envisagea l’usage de la bombe atomique, comme sept ans auparavant sur Hiroshima. Truman lui retira le commandement. Les combats se stabilisèrent. L’armistice fut signé à l’été 1953, rétablissant le statu quo ante.

Cette guerre sans résultat causa la mort de plus de deux millions de personnes. Deux Etats séparés naquirent. Au Sud, un régime dictatorial laissa place, dès 1998, à une démocratie qui accompagna un développement économique fulgurant. Au Nord, un régime pseudo-marxiste, basé sur l’idéologie autarcique, dite du «Juché», établit une nouvelle dynastie. La lutte des classes fut remplacée par trois piliers: indépendance, autosuffisance et défense armée.

Pas une nation mais une secte

L’hostilité de l’Occident fut immédiate et violente. Depuis près de soixante-cinq ans, Washington refuse de reconnaître le régime, dont il souhaite la perte. Celui-ci jouit de l’appui de son opinion publique. Le culte de la personnalité est mâtiné de valeurs néoconfucianistes et de nationalisme et s’appuie sur une propagande efficace et une répression sévère. Il faut cependant avoir senti la ferveur quasi mystique de la population dans le mausolée de Kim Il-sung. Il fait dire que le pays n’est pas une nation, mais une secte! L’armée compterait un million d’hommes en service, plus trois millions de réservistes et quatre millions de miliciens. Dotée d’un matériel obsolète, elle posséderait maintenant l’arme atomique. Le peuple accepte d’immenses sacrifices, avec le sentiment de vivre en état de siège permanent. Il ne s’agit pas d’une paranoïa collective, mais d’une réaction compréhensible.

Son voisin du Sud entretient une armée de plus de 700 000 hommes. En vertu d’un traité de défense mutuelle datant de l’automne 1953, les Etats-Unis sont autorisés à faire stationner, aussi longtemps qu’ils le veulent, des troupes, dont l’effectif tourne autour de 40 000 hommes, disposant d’un matériel offensif et défensif très sophistiqué. Chaque année, une impressionnante armada conduit des manœuvres militaires conjointes au large des côtes. L’arme nucléaire s’est imposée dans la conscience nationale comme la seule possibilité de dissuasion pour la survie.

Une négociation globale comme seule issue

La solution à la crise réside dans une négociation, globale, comme le suggèrent la Chine et la Russie. Lorsque le président Trump menace le pays d’une «totale destruction», à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies, il renforce la détermination de Kim Jung-un et de son peuple. Une intervention militaire semble déjà problématique. Son coût humain serait exorbitant et les risques incommensurables.

Avant d’exiger le désarmement nucléaire, il faut convaincre le régime et sa population que personne ne veut leur destruction. A défaut, cette région d’Asie s’acheminerait vers la prolifération des armes atomiques ou, pire, vers une possible catastrophe planétaire.

Marcel A. Boisard, ancien sous-secrétaire général des Nations unies.

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