Il ne reste plus qu’à réinventer l’Europe

Tout ou presque a été dit sur les heurs et malheurs d'un référendum. Instrument incontournable de la démocratie ou instrument de manipulation massive, le référendum a ses partisans et ses détracteurs. Mais il est là et nous, Européens de bonne volonté, devons en tirer les conséquences. Il faut à la fois tenter d’analyser les conséquences immédiates et de prendre de la hauteur sur l’Europe de demain. Le peuple britannique a souverainement décidé de son retrait, et les traités, depuis le traité de Lisbonne, l’autorisent. Cependant un claquement de doigt ne suffit pas à la sortie. Elle prendra du temps, que l’on ne s’y trompe pas.

Deux raisons majeures et irréfragables l’expliquent sans conteste. La première est que les traités organisent une procédure que chacun des protagonistes va devoir suivre. Un temps procédural incompressible sera donc nécessaire. Le gouvernement britannique doit notifier sa demande de retrait au Conseil et des négociations suivront pour aboutir à un accord après approbation du Parlement européen. L’accord sera signé au nom de l’Union européenne par le Conseil. En l’absence d'accord, le retrait est effectif deux ans après la demande. Le retrait n’est donc pas immédiat même si l’onde de choc, notamment d'un point de vue boursier et psychologique, est effectivement déjà présente.

La deuxième va bien au-delà de la dimension procédurale. Car si les Britanniques ne participaient pas, loin s'en faut, à chaque dimension du droit de l'Union –et notamment pas la monnaie unique– ils étaient «Etat membre» de l’Union depuis plus de quarante ans. Or l’union sans cesse plus étroite des peuples de l'Europe, inscrite dans les préambules successifs des traités, a conduit à une si forte imbrication de nos droits que le retrait prendra bien plus de temps que le temps procédural.

Les principes d’effet direct et de primauté, d’ailleurs bien respectés par les institutions britanniques, ont très largement européanisé les droits nationaux et donc le droit anglais. Qu’est-ce à dire ? Que les Britanniques vont rester Européens ? Sans doute. Mais pas seulement. C’est que la «désimbrication» sera longue et semée d’embûches. C’est une des conséquences très concrètes dont la mesure n’a sans doute pas été prise.

En somme, et c’est la conclusion de ce premier point, ce retrait souverain ne sera effectif que plus tard et selon des modalités encore à définir. L’accord prévoira-t-il un retrait sans autre forme de procès, ou s’accompagnera t-il d’un accord maintenant des liens étroits ? Il est possible que le temps aidant, la conscience des conséquences néfastes de ce vote et d’autres événements encore inconnus conduisent à un accord dans le sens de liens si étroits que la sortie demeure platonique au moins en partie.

Il reste que ce retrait a été voulu, par un peuple souverain. Dont acte ! L’Union ne peut faire l’autruche face à ce résultat, quelles que soient les interprétations du vote. Car ce vote renforce un malaise européen déjà en germe de longue date. Endiguer le risque de contagion est aujourd’hui une ardente obligation. Ne pas se réunir et repenser l’Europe serait suicidaire pour nos gouvernants et nos peuples. C’est un leurre que de penser la souveraineté retrouvée par une simple une signature de retrait. Que peut un Etat seul face aux défis du monde ? Poser la question c’est avoir la réponse ! Mais cela ne suffit pas.

La philosophie de la création de la construction alors dite communautaire dans les années 1950 ne suffit plus. Il ne faut en aucun cas l’oublier, mais le projet doit maintenant être réinventé. Il ne peut réussir que s’il répond à une demande des peuples et des gouvernants. La philosophie de la CECA et de la CEE était celle de la paix retrouvée entre les peuples dans un contexte de reconstruction économique et d’un certain optimisme en l’avenir qui n’est plus.

Si l’Union a réussi l’essentiel de ses missions premières, elle n’a pas réussi à créer un sentiment d’appartenance suffisamment fort pour que chaque peuple se sente partie d’un autre peuple, un peuple européen. Chaque moment de l’histoire appelle des constructions politiques spécifiques qui, pour être légitimes, doivent répondre à une aspiration des peuples et des institutions. La demande aujourd’hui est assez aisément identifiable autour de deux pôles majeurs que sont la sécurité et la croissance économique. Ce sont ces domaines qui doivent recevoir l’énergie des gouvernants européens –Parlement, Commission, Conseil– et des gouvernants nationaux. Il n’est pas besoin de nouveaux traités pour cela. Les bases juridiques existent. La volonté politique doit réunir les protagonistes sur des objectifs restreints mais essentiels. Si tous, désormais les Vingt-Sept, ne peuvent ou ne veulent pas avancer au même rythme sur ces deux objectifs, l’instrument des coopérations renforcées –ou noyau dur ou géométrie variable– existe. La boîte à outils juridiques existe. Demander un nouveau traité c’est jouer la montre. Réagir de manière dynamique, concertée et volontaire est la seule façon de donner une nouvelle chance et un nouveau dessein au projet européen.

Florence Chaltiel, professeur de droit public. Il est l'auteure de le Processus de décision dans l’UE, 2011, troisième édition à paraître à la Documentation française.

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