Il n’y a pas d’arbitrage entre climat et prospérité

Les ministres de l’économie et des finances du monde entier se réunissent à Washington autour du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. A 200 jours de la conférence de Paris sur le climat, vont-ils ouvrir les yeux sur le nouveau monde qui émerge et changer d’orientation ? Voici quelques questions pour mobiliser les esprits.

Selon vous, les énergies renouvelables représentent-elles : 20 %, 30 % ou 50 % des nouvelles capacités de production électrique installées dans le monde ? La réponse est 50 %. Cela signifie que nous sommes entrés dans un monde où, pour la première fois, un nouvel électron sur deux est produit à partir d’énergies renouvelables. Et maintenant que les courbes se sont croisées, le sens de l’Histoire ne fait plus guère de doute.

Deuxième question : le prix d’un panneau solaire a t-il été divisé par : 2, 6 ou 8 entre 1990 et 2014 ? La réponse est par 8 ! En 2011, en Afrique du Sud, le gouvernement a mis en concurrence des producteurs d’électricité à base de charbon et d’autres à base de renouvelables. En moins de 4 ans, les tarifs ont chuté de 42 % pour l’éolien, de 68,1 % pour le photovoltaïque et de 45,6 % pour l’énergie solaire concentrée. Les programmes d’énergies renouvelables auraient déjà fait économiser au pays 410 millions d’euros. Nous sommes en train de vivre le moment où les renouvelables deviennent compétitives par rapport aux énergies fossiles pour produire de l’électricité, et ce, sans subvention publique.

Le déclin annoncé du charbon

Un pays comme le Costa Rica vient de passer 75 jours sans consommer une goutte d’énergie fossile pour produire son électricité – ni recourir au nucléaire ! Les pays en développement commencent à pouvoir imaginer, dans le domaine énergétique, l’opportunité d’adopter directement les technologies propres que sont les renouvelables, sans passer par l’étape de la production d’électricité carbonée ; comme ils l’ont fait dans les télécommunications, en sautant l’étape des lignes fixes et en passant directement aux réseaux mobiles. Les ministres des finances des pays en développement ne doivent pas se voir comme les derniers à prendre le train des énergies fossiles, mais comme les premiers à pouvoir s’en passer !

La révolution positive des renouvelables est appelée à précipiter le déclin annoncé du charbon. Alors que la pollution de l’air a atteint des niveaux insupportables dans les grandes villes chinoises à cause notamment des centrales à charbon, la consommation de cette source d’énergie a diminué en 2014 pour la première fois. Et une nouvelle baisse d’environ 10 % est programmée pour cette année. Il est de plus en plus probable que la Chine – de très loin le premier consommateur mondial – ait déjà passé son pic de consommation de charbon, qui n’était pourtant planifié que pour 2020 par les autorités.

Posons une troisième et dernière question aux ministres des finances. Depuis deux ans, alors que les marchés boursiers engrangeaient des gains importants, le cours des compagnies charbonnières australiennes, qui exportent leur production notamment en Chine, a-t-il : augmenté, stagné ou chuté ? Les capitalisations des plus grandes entreprises parlent d’elles-mêmes : - 42 % pour Aquila Resources, - 67 % pour Whitehaven Coal et - 80 % pour Yancoal ! Au-delà des enjeux moraux liés au fait que l’exploitation des réserves fossiles est incompatible avec la préservation d’un monde soutenable pour les générations futures, il y a donc de bonnes raisons, purement financières, de se désinvestir dès aujourd’hui du charbon !

Une trop lente révolution

Cette révolution est d’ores et déjà en marche. Mais elle est encore trop lente. A défaut d’un grand coup d’accélérateur, on ne peut aujourd’hui exclure le scénario du pire : un monde dévasté par un dérèglement climatique incontrôlé. En Syrie, au Nigeria, le dérèglement climatique est déjà un « démultiplicateur de conflits », selon l’expression du ministère de la défense américain. Et comme le rappelait François Hollande à la tribune de l’ONU en 2014, on compte déjà trois fois plus de réfugiés climatiques que de réfugiés pour cause de conflits armés. Il est tout simplement impossible d’envisager un monde en paix dans un chaos climatique. Peut-on espérer promouvoir le développement et accéder à la prospérité économique et financière dans un environnement trop dégradé pour nourrir les populations, exposé à des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et intenses, et où la pénurie de ressources provoque des conflits sanglants et déstabilise des régions entières ?

Mesdames et messieurs les ministres des finances, madame la directrice générale du FMI, monsieur le président de la Banque mondiale, madame et messieurs les banquiers centraux, il n’y a pas d’arbitrage entre climat et prospérité. Bien au contraire : la lutte contre le dérèglement climatique est aujourd’hui une condition de notre prospérité future. Pour espérer accomplir la mission cruciale qui vous incombe, il vous faut faire de la lutte contre le dérèglement climatique une priorité absolue. Maintenant.

Pascal Canfin, ancien député européen EELV et ancien ministre délégué au développement, est aujourd’hui conseiller principal sur les affaires internationales et sur le climat auprès du World Resources Institute.

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