Il n’y a pas d’exception musulmane en matière d’abus sexuels

L’affaire Tariq Ramadan vient succéder à celle autour d’un autre prédicateur musulman de renom, Nouman Ali Khan. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais la notoriété de ce Texan pakistano-américain aux millions de vues sur YouTube, fondateur d’un Institut musulman, est internationale. Il y a quelques mois, il a été soupçonné d’utiliser son aura religieuse pour séduire de jeunes femmes (The Express Tribune du 23 septembre) – sans être mis en cause pour viols.

Cette actualité, loin de m’avoir surprise ou décontenancée, est venue renforcer des tendances de fond que, en tant que chercheuse en sciences sociales, spécialisée sur l’islam de France, j’ai pu constater. Les vols de l’argent de la zakat (la quête) dans les mosquées ne sont malheureusement pas des phénomènes isolés, tout comme… les affaires sexuelles scabreuses.

Au départ, j’ai simplement été surprise de recevoir à titre personnel des propositions sexuelles ou amoureuses d’hommes mariés, responsables de mosquée, fondateurs d’institut musulman en ligne ou autres personnalités religieuses reconnues. Mais bon, l’erreur est humaine, si ces hommes souhaitent tromper leur femme, ou du moins tenter de le faire, cela les regarde. Seulement voilà, on ne parle pas seulement de relations consenties.

Quelle que soit l’issue du cas Tariq Ramadan, il me semble que cette affaire est malheureusement le symptôme d’un mal plus profond. Dans le cadre de mon travail, j’ai recueilli la parole de femmes qui ont été sexuellement abusées par des imams qui prétendaient « réaliser » une rokya sur elles. Il s’agit du rite qui consiste à se protéger ou à se débarrasser du mauvais œil. L’emprise psychologique est parfois telle et l’argument religieux si péremptoire que lorsque les victimes comprennent que ce qui venait de leur arriver n’avait rien d’orthodoxe, il est déjà trop tard.

Qu’est-il arrivé à ces imams ? Les responsables des mosquées auxquelles je fais référence ont soit étouffé l’affaire en renvoyant les imams dans leur pays d’origine s’ils étaient « détachés », soit déplacés ces derniers dans une autre mosquée s’ils étaient français et membres d’une fédération nationale. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Le modus operandi tel qu’il a lieu dans l’Eglise catholique.

Double péril

La sphère religieuse musulmane, au même titre que les autres sphères sociales, est soumise aux lois du patriarcat, aux lois du silence. De là à y voir une spécificité de « la communauté musulmane » dans des logiques pour le moins raccourcies et essentialistes, il n’y a qu’un pas.

C’est précisément à ce double péril que les victimes de violences sexuelles dans les rangs des communautés musulmanes – si tant est que cette appellation veuille dire quelque chose – sont exposées. Parler du machisme dans les institutions musulmanes au risque de voir ce discours instrumentalisé par des acteurs ouvertement islamophobes, ou faire le choix du silence et ainsi faire le jeu des prédateurs sexuels.

Les femmes musulmanes sont-elles condamnées à devoir choisir entre deux patriarcats ? Servir le patriarcat de la société dominante qui aimerait faire croire que le machisme est un produit purement « made in Maghreb » ou servir un patriarcat dans les populations musulmanes qui relègue les femmes à une position de subalterne ?

De précieuses alliées

Pourtant une troisième voie semble exister, celle des contestées féministes musulmanes. Impossiblement féministes pour les plus puristes qui pensent que le religieux ne saurait se conjuguer avec l’émancipation des femmes – oubliant par là même la longue histoire et les apports des féminismes juifs et chrétiens –, et incompatiblement musulmanes pour les musulman(e) s les plus orthodoxes –, le féminisme étant antinomique avec la complémentarité homme-femme promue par l’islam.

Or ce sont toutes les formes de discriminations sexistes ou racistes qu’elles affirment combattre, en refusant la stigmatisation des femmes voilées et la tentative de faire du machisme une plaie sociale exogène qui s’incarnerait dans la figure du garçon arabe ou noir.

Les récentes révélations autour des affaires Weinstein et Denis Baupin nous rappellent, s’il y a lieu, que les violences masculines ont cours dans toutes les classes sociales, athées ou religieuses. Néanmoins, il serait trop facile de dénoncer le sexisme dans les rangs de ces voisins sans voir celui qui s’exerce dans les siens. Et il est temps d’en parler.

Mais qui leur tendra l’oreille ? Le ministère de l’intérieur, qui avait pourtant lancé un appel à projets cette année précisément sur les formes d’« Engagements féminins dans l’islam de France », vient de le retirer, au motif « de restrictions budgétaires et de changement de majorité ». Leur voix déjà minoritaire souffre aussi d’un déficit de visibilité et d’audibilité sur la scène politique et médiatique.

Et pourtant elles seraient de précieuses alliées pour relayer les cas de violences sexuelles commises dans les mosquées ou par les responsables associatifs musulmans, sans tout de suite être accusé(e) s de faire le jeu de l’islamophobie ou du sionisme ! Car la mobilisation des femmes dans différentes institutions de pouvoir (Hollywood, le milieu politique, le milieu des médias) est simplement en train d’avoir un retentissement dans le secteur social musulman ; et en même temps, quoi de plus normal ? Ne sont-elles pas des femmes comme les autres ? Les hommes musulmans ne sont-ils pas des hommes pour autant ? Le patriarcat s’arrêterait-il aux portes des mosquées, contenu à l’intérieur ou à l’extérieur de celles-ci, selon les points de vue ? Force est de constater qu’il n’y a pas d’exceptionnalisme musulman, en matière de probité ou d’abus sexuels non plus.

Et il est temps de reprendre à notre compte le douloureux constat qu’a fait Audre Lorde il y a des années : « Le silence ne vous protégera pas. » Se taire expose les femmes de tous les secteurs sociaux, notamment les plus vulnérables, aux agissements d’hommes peu scrupuleux. Si l’habit ne fait pas le moine, on ne voit pas pourquoi la barbe ferait l’imam non plus, pour paraphraser le chanteur et rappeur Médine.

Je pense qu’il est grand temps de sortir de sa réserve et d’afficher un soutien sans faille aux victimes d’abus sexuels de tous horizons, sans tomber dans des formes de récupération malsaine. En attendant, il nous faut poursuivre, je le crois, un important travail de sensibilisation et d’éducation, notamment sexuelle et au consentement, à laquelle j’enjoins à un maximum de personnes de prendre part. Après tout, le privé n’est-il pas politique ?

Par Fatima Khemilat, Doctorante en sciences politiques, Sciences Po Aix.

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