Immigration et combativité commerciale sont les deux piliers du succès politique de Trump

Les incertitudes électorales du 6 novembre ne doivent pas cacher le véritable enjeu de ces élections de mi-mandat : le destin américain et une possible réélection de Donald Trump en 2020, appuyée sur de solides ressorts que soutient la bonne santé de l’économie.

On connaît tout désormais du caractère du président américain : narcissisme, affabulations, inculture, absence de toute pensée historique et stratégique. Il faut cependant reconnaître une cohérence dans ses orientations et la rupture avec les élites politiques qu’il revendique à travers elles. Là sont les raisons d’une longévité qui pourrait surprendre, notamment si l’on oublie la reconduction de George W. Bush en 2004 malgré le désastre de l’invasion de l’Irak, avalisée par le Tout-Washington. Donald Trump prend aux tripes ses partisans comme ses adversaires, mais le recadrage commercial qui l’obsède ne ressemble pas à cette folie.

Répondant légitimement aux deux sources du malaise américain depuis vingt ans sur le devenir de l’Amérique comme nation et comme économie, immigration et combativité commerciale sont les deux piliers de son succès politique auprès d’un électorat populaire dont les craintes ne sont pas imaginaires. La stagnation du salaire médian depuis deux décennies et le double choc du numérique et de la mondialisation nourrissent une perte de repères à laquelle Donald Trump donne la réponse tant attendue dans des milieux qui se sentaient abandonnés par les alternances successives depuis Reagan. En bref, M. Trump sait d’instinct parler à l’Amérique « country » qui a le blues, où Hillary Clinton sonne faux et Barack Obama semblait tomber de la lune.

La fermeté paie

Les mesures tarifaires déjà prises ou annoncées pour combattre les pratiques déloyales de l’Etat-parti chinois, aussi discutables soient-elles, notamment parce que les Etats-Unis ne représentent que 5 % environ des exportations chinoises, tranchent avec les vaines complaintes sur ces pratiques continues malgré l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 – elle-même contestée par Washington qui entend légitimement en réformer le mécanisme de résolution des conflits et la transparence des pratiques commerciales des membres.

Des tarifs douaniers de 10 % sur 200 milliards de dollars (176 milliards d’euros) de produits ont été établis en septembre 2018, qui pourraient monter à 25 % en janvier 2019 sur la totalité des biens chinois importés, estimés à plus de 500 milliards de dollars, si la Chine ne propose pas de réforme structurelle de son système dirigiste – comme c’est à craindre. La perte de près de 10 % de la valeur du yuan en dollar depuis le début de l’année ne fait en outre que conforter Washington dans son approche, sans compter les dossiers chinois en cours d’examen à la Commission fédérale du commerce international, organisme indépendant qui traque les pratiques commerciales anticoncurrentielles.

Cette fermeté, à laquelle Pékin a répondu par de similaires mesures sur 110 milliards de produits fabriqués aux Etats-Unis, parle aux Américains, même aux moins favorisés, consommateurs des produits pas chers importés d’Asie, qui en seraient pourtant les premières victimes. Dire vouloir replacer l’Amérique comme première nation de l’industrie, de l’innovation et du capitalisme a de quoi galvaniser face au compétiteur chinois ou à tout autre compétiteur, Mexique et Canada compris. Même des Américains diplômés, femmes incluses, sont réceptifs à ce volontarisme pour défendre la propriété intellectuelle américaine, auquel les démocrates n’ont rien à redire, au-delà de la méthode.

De même, la fermeté sur le contrôle des frontières épouse les inquiétudes latentes devant les évolutions démographiques. Donald Trump récuse le « politiquement correct » imposé par la gauche « moralisatrice » pour dénoncer la forte poussée hispanique qui favoriserait délinquance et travail illégal, et altère l’héritage anglo-saxon protestant.

Un climat politique ahurissant

La politique est affaire d’idées-force, et ces deux axes, commerce et immigration, assumés sans détour avec ce que les Américains appellent candeur et que nous taxons de « populisme », devraient endiguer un courant anti-présidentiel pourtant fort. Celui-ci illustre l’hystérie d’une vie publique que beaucoup comparent aux années 1850, dans un pays déchiré avant la guerre de Sécession. Le climat politique ahurissant aux Etats-Unis est ainsi, et l’on peine à voir les forces qui pourront ramener civilité et tempérance.

Pour autant la tendance générale à la veille des législatives de mi-mandat est rarement en faveur de l’administration en place, et diverses incertitudes catégorielles assombrissent les perspectives pour l’équipe Trump : les effets négatifs des tarifs douaniers dans des Etats du Midwest emportés par Trump en 2016, le retournement d’électrices diplômées, attachées aux positions conservatrices du président mais échaudées par certaines de ses déclarations, la volonté de sympathisants républicains de contrebalancer le pouvoir présidentiel, les tendances contradictoires de la baisse massive de l’impôt sur les sociétés d’un côté et, de l’autre, celle des marges des entreprises qui importent des matériaux ou composants chinois surtaxés, etc.

Au final, même une courte majorité démocrate à la Chambre ne serait pas bouleversante. Car la confusion idéologique des démocrates et la dislocation du conservatisme républicain ont de quoi rassurer le président américain, ce malgré les effets négatifs dus à son extravagance. Son intuition du sentiment populaire reste sa meilleure arme pour 2020. Surtout, malgré une dette colossale de 110 % du PIB et un déficit budgétaire de près de 5 % à 990 milliards de dollars, plein emploi et forte croissance (4,2 % au deuxième trimestre, 3,5 % au troisième) ne sont pas des infox.

Par Yannick Mireur, politologue, fondateur de la revue « Politique américaine ».

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