Impasse guerrière

Par George Soros, financier et philanthrope. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz (LE MONDE, 07/09/06):

L'échec d'Israël face au Hezbollah démontre les nombreuses faiblesses du concept de "guerre contre le terrorisme". Parmi elles, il y a le renforcement de la cause des terroristes grâce au ralliement des civils touchés par les actions militaires. Israël était fondé à vouloir détruire le Hezbollah et à se protéger contre la menace de missiles à ses frontières, mais il aurait dû prendre plus de précautions pour minimiser les dommages collatéraux. Les pertes civiles, les souffrances engendrées et les dommages matériels infligés au Liban ont enflammé les musulmans et l'opinion internationale contre Israël et ont fait passer le Hezbollah du statut d'agresseur à celui de héros de la résistance.

Une seconde faiblesse de ce concept est de ne reposer que sur l'action militaire en excluant une approche politique. Lorsque Israël s'est retiré unilatéralement d'abord du Liban et ensuite de Gaza, il aurait fallu négocier un accord politique avec le gouvernement libanais et avec l'Autorité palestinienne. Tel qu'il a été réalisé, ce retrait a renforcé les positions politiques du Hezbollah et du Hamas. Le concept de "guerre contre le terrorisme" empêche de reconnaître l'autre. Il repose sur une vision de deux mondes bien séparés, "eux" et "nous", dans laquelle on imagine que "notre"" action n'a pas de conséquence sur "leur" conduite.

Enfin, troisième faiblesse de ce concept : mettre dans le même sac des mouvements politiques différents qui utilisent une tactique terroriste. Ne pas différencier le Hamas, le Hezbollah, Al-Qaida, l'insurrection sunnite ou la milice de Mahdi en Irak est une erreur. Ce sont des manifestations différentes du terrorisme, elles nécessitent des réponses différentes. De plus, ni le Hamas ni le Hezbollah ne peuvent être traités simplement comme des cibles à détruire, ces organisations s'enracinant profondément dans la société.

Il suffit de regarder un peu en arrière pour saisir les erreurs de la politique israélienne. Quand Mahmoud Abbas a été élu président de l'Autorité palestinienne, Israël aurait dû lui permettre de se renforcer, lui et son équipe réformiste. Quand Israël s'est retiré de Gaza, le précédent dirigeant de la Banque mondiale, James Wolfensohn, a négocié un plan en six points au nom du Quartet pour le Moyen-Orient (la Russie, les Etats-Unis, l'UE et l'ONU). Il comportait l'ouverture de voies de passage entre Gaza et la Cisjordanie, un aéroport et un port maritime à Gaza, l'ouverture de la frontière avec l'Egypte et le transfert aux Arabes des serres abandonnées par les colons israéliens. Aucun de ces six points n'a été appliqué, ce qui a contribué à la victoire électorale du Hamas. Et l'administration Bush a soutenu l'Etat hébreu dans son refus de traiter avec le gouvernement du Hamas, rendant encore plus difficile la vie des Palestiniens.

Pourtant, Abbas avait réussi à conclure un accord avec la branche politique du Hamas pour former un gouvernement unitaire. C'est pour contrecarrer cet accord que la branche militaire du Hamas, dirigée depuis Damas, s'est engagée dans la provocation qui a entraîné une réponse brutale d'Israël - incitant le Hezbollah à de nouvelles provocations et ouvrant un deuxième front.

La suite des événements a montré comment le jeu israélien, soutenu par le président Bush, a conduit à une escalade de la violence. Et, aujourd'hui, la supériorité militaire incontestable d'Israël ne compense plus ses erreurs politiques. Son existence est aujourd'hui plus menacée qu'au moment des accords d'Oslo. De la même manière, la sécurité des Etats-Unis est moins bien assurée.

Cette politique est contre-productive, le moment est venu de le réaliser. Il n'y aura pas de fin à l'escalade de la violence sans un règlement politique de la question palestinienne. La perspective d'ouverture de négociations est meilleure qu'il y a quelques mois. Israël doit comprendre que la dissuasion militaire ne suffit pas ; s'il persiste dans son refus de négocier, il continuera d'affaiblir sa position. De leur côté, les Arabes, qui ont sauvé leur honneur sur le champ de bataille, sont peut-être plus ouverts à un compromis, même si le Hezbollah, après avoir humé le parfum, mais non la réalité de la victoire, pourrait se montrer, encouragé en cela par l'Iran et la Syrie, récalcitrant à une telle démarche.

Mais c'est ici qu'intervient la différence entre le Hezbollah et le Hamas. Les Palestiniens aspirent à la paix et à la fin de leurs souffrances. La branche politique du Hamas - à ne pas confondre avec sa branche militaire - doit être attentive à leurs désirs. Il n'est pas trop tard pour Israël pour soutenir un gouvernement palestinien unitaire dirigé par M. Abbas et traiter avec lui. Un premier pas vers une politique plus équilibrée. Mais, pour ce faire, il faut aussi un gouvernement américain qui ne soit pas aveuglé par le concept de "guerre contre le terrorisme".