Implosion au Yémen

Aden, la grande ville du Yémen du Sud, est prise entre deux feux, celui des artilleries lourdes d’une agression fomentée par l’alliance des Houthis (1), venus du nord du Yémen et celui des troupes de l’armée d’obédience zaïdite (2) restées fidèles au président déchu Saleh. Parallèlement, la résistance populaire est conduite par la population sudiste (surtout les jeunes d’Aden). Elle est peu aguerrie et mal armée, et entièrement «sunnite», même si le caractère confessionnel est peu enraciné dans une ville anciennement cosmopolite, puis marxisante, comme Aden.

La capitale, Sanaa, grande ville du Nord, contrôlée par ces mêmes Houthis depuis le coup d’Etat du 21 septembre 2014, est sous les raids aériens d’une agression extérieure, menée par une coalition de dix pays dirigés par l’Arabie Saoudite pour qui «un Yémen maintenu dans un chaos contrôlable» est un but stratégique essentiel et permanent.

Encerclé et fermé au transport international, le Yémen, pays très pauvre qui se nourrit essentiellement de produits alimentaires importés de l’étranger, est plongé dans une confusion sans précédent, et subit une famine devenue plus aiguë depuis le départ des organisations humanitaires internationales.

Aden, qui a connu tant de guerres dans le passé, souffre de destructions multiples. Contrairement aux anciennes guerres yéménites (essentiellement de nature politico-régionaliste), celle-ci, dans ses deux dimensions interne et externe, a, en plus, une allure confessionnelle plus prononcée, nourrie et orchestrée par la rivalité irano-saoudienne.

Ceci nous rappelle, dans une sorte d’«éternel retour», les guerres religieuses de la mer Rouge d’avant l’islam (entre juifs soutenus par l’Empire perse et ses satellites régionaux, et chrétiens soutenus par l’Empire byzantin et ses alliés, comme l’Ethiopie), et dont le Yémen, mal nommé «l’Arabie heureuse», était le théâtre des conflits perpétuels, par forces interposées.

L’implosion du Yémen semble inévitable. Si son unité était, avant 1990, tant souhaitée par les peuples du Sud (sous la coupe d’un régime communiste) et du Nord (aux mains d’un régime tribal), elle est devenue, en 1990, une urgence pour les deux régimes, et ceci pour des raisons opportunistes distinctes : pour le régime sudiste privé de l’aide du bloc soviétique, elle fut une fuite en avant inespérée et salvatrice ; et pour celui du Nord, un «don divin» pour contrôler et confisquer les ressources pétrolières de la région sudiste.

L’unité yéménite fut, en réalité, la contre-thèse de celle mieux réussie du Vietnam : Hô Chi Minh-Ville (Saigon) peut être vue (par son passé colonial, son aspect cosmopolite, son climat) comme l’image d’Aden ; et Hanoi peut être comparée à Sanaa, les deux villes du Vietnam apparaissent comme deux capitales géantes du même pays : elles constituent deux pôles de compétences économiques et politiques complémentaires et équilibrées. Alors qu’Aden est devenue, après quatre ans d’unité, une ville humiliée, dénaturée, livrée comme butin aux tribus du Nord gagnant. Et le désir sudiste d’une séparation et de l’autodétermination est devenu, au fil du temps, inexorablement majoritaire.

Suite à cette guerre asymétrique et d’un type confessionnel nouveau, l’avenir du Yémen, et notamment son unité, semble promis à la déchirure définitive. Sans une pression internationale plus forte, un nouveau désastre régional, à la syrienne, est inéluctable.

Habib Abdulrab, professeur des universités, écrivain.


(1) Courant chiite, 2,5% de la population. (2) Confession à tendance chiite, 30% de la population, dont sont issus les Houthis.

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