Indépendance de la Catalogne: comment sortir de l’impasse?

Le 9 novembre passé, 2,3 millions de personnes résidant en Catalogne, soit 36% du corps électoral, ont voté lors d’un référendum non officiel portant sur l’indépendance de la région. Environ 80% d’entre elles ont opté pour la constitution d’un Etat souverain. Pendant que les organisateurs célébraient le résultat comme un énorme succès, le gouvernement espagnol qualifia l’événement de faillite totale.

Rassembler plus de 2 millions de personnes dans le cadre d’un vote déclaré illégal par les autorités gouvernementales, suspendu par la Cour constitutionnelle et, en conséquence de cela, dépendant pour son déroulement principalement de travail bénévole est un succès indéniable. Et pourtant, il ne s’agit pas d’une victoire assez écrasante pour donner une légitimation incontestable aux demandes catalanes en dehors des confins de la région. L’argument utilisé par le gouvernement central, selon lequel une «majorité silencieuse» de 70% de Catalans s’est opposée au scrutin (évidemment Madrid arrondit en sa faveur), n’est pas anodin même s’il est partial. Surtout, il lui permet d’obscurcir le fait que, selon des enquêtes d’opinion successives, environ 80% de la population soutient le droit de décider de son futur.

Il est donc légitime de se demander si le 9 novembre a changé quelque chose face à un conflit qui semble sans solution depuis désormais deux ans.

D’un côté, la majorité gouvernementale a donné des signes de détente: le 29 novembre, le premier ministre, Mariano Rajoy, a visité la région et reconnu la nécessité de «s’expliquer mieux» auprès des Catalans; une semaine auparavant, des membres du Parti populaire (PP) avaient invité les socialistes à formuler plus précisément leurs plans de modification de la Constitution; et certains ont suggéré la possibilité que le Senat soit déplacé à Barcelone. Offrir une solution politique, et pas seulement un argument légaliste («l’indépendance est anticonstitutionnelle»), est en effet une nouveauté dans l’approche du premier ministre. Convaincu que la situation actuelle est le résultat de la crise économique et de la manipulation des nationalistes, Rajoy a refusé toute demande en attendant que les partis se noient dans leurs divisions et que la reprise les prive du soutien populaire. De l’autre, toutefois, les déclarations de certains représentants du PP laissent soupçonner que le gouvernement a exercé des pressions sur le procureur général d’Etat pour qu’il procède en justice contre le président de la Communauté autonome, Artur Mas, ce qui risque de transformer celui-ci en martyr de la cause catalane.

Ce dualisme reflète bien la position difficile du premier ministre. Rajoy n’est pas forcément un faucon dans le PP. Au contraire, il a été fortement critiqué par l’aile plus radicale pour ne pas avoir empêché l’organisation du 9 novembre. Cela ne signifie pas qu’il serait prêt à accepter un référendum d’autodétermination, ni une modification de la Constitution qui inclurait une reconnaissance de la pluri-nationalité de l’Etat espagnol, mais même si pour des raisons pragmatiques il était prêt à entamer des négociations, il risquerait une révolte à l’intérieur de son parti. De plus, alors qu’une approche plus flexible était possible il y a deux ans, aujourd’hui la situation est tellement polarisée que toute relation entre les partis catalans et le gouvernement national est vécue comme un jeu à somme nulle. Dans un contexte similaire, à six mois d’une tournée électorale autonomique et municipale, et à une année des élections nationales, il semble improbable que ­Rajoy imprime une réorientation radicale à sa politique envers la région septentrionale.

Cette hypothèse est renforcée par une analyse de la situation politique en Catalogne. Le 9 novembre a confirmé la force de la mobilisation populaire, mais il a aussi exposé des fractures importantes à l’intérieur du front indépendantiste. De plus, le vote a changé la question qui se pose aux partis catalans: alors qu’avant il s’agissait de convaincre l’Etat de reconnaître un référendum d’autodétermination, maintenant la campagne pour ou contre l’indépendance est officieusement commencée. Mas a déclaré vouloir organiser des élections anticipées plébiscitaires dans lesquelles les citoyens devront décider entre les partis qui soutiennent l’indépendance et ceux qui s’y opposent. Pour que le choix soit le plus clair possible, il a aussi demandé que les premiers se présentent tous sur une liste commune. Même s’il préfère courir seul, l’autre principal parti indépendantiste, la Gauche républicaine de Catalogne, a laissé la porte ouverte au dialogue avec le président Mas. Le point principal qui divise les deux est la stratégie à suivre après un éventuel vote indépendantiste: l’un voudrait une déclaration unilatérale d’indépendance immédiate; l’autre souhaiterait entamer un processus de dix-huit mois pendant lesquels négocier la séparation d’avec Madrid et construire des institutions étatiques.

S’ils ne réussissaient pas à dépasser leurs divisions profondes, le rêve de Rajoy d’une majorité indépendantiste ébranlée par ses propres désaccords pourrait d’un coup se matérialiser. Le premier ministre va donc probablement attendre, en espérant épuiser ses opposants. Cela ne réduira pourtant pas la fracture qui s’est ouverte entre une partie considérable de la population catalane et le gouvernement central.

Emmanuel Dalle Mulle

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