Industrie : pour le «Make in Europe»

Orgueil ou naïveté, nous avons longtemps cru que notre leadership technologique était acquis. La crise économique, dont nous sortons à peine, a été un dur retour à la réalité en France et en Europe. Le monde a changé, les règles ont changé. Nous ne pouvons plus être naïfs et fermer les yeux sur la situation actuelle. Pour surmonter la crise de confiance qui la paralyse, l’Europe doit recréer du lien avec les citoyens en se montrant à la hauteur du défi et assumer une véritable politique industrielle européenne.

L’industrie est au cœur de notre économie. En France, elle représente plus de 12 % du PIB, 3 millions d’emplois, 70 % de nos exportations et les trois quarts de la recherche privée. Elle a traversé une crise sans précédent à la fin de la dernière décennie. Des centaines de milliers d’emplois ont été détruits, les exportations ont reculé. Notre industrie aurait pu s’effondrer. Mais tel n’a pas été le cas.

En France, le gouvernement a réagi par des mesures fortes. Grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), au crédit d’impôt recherche (CIR) et au dispositif du suramortissement pour l’investissement en particulier, l’industrie française est demeurée solide et entreprenante. Elle est le 2e exportateur de biens manufacturés de la zone euro. Elle possède une excellence technologique reconnue et des entreprises leaders dans leur domaine qui lui permettent de répondre aux grands défis de demain. Cependant, avec la montée en gamme des pays émergents, le contexte a changé depuis la crise. Hier, ces pays étaient les usines du monde, demain, ils seront aussi ses centres de recherche. En Asie, ce sont plusieurs millions d’ingénieurs qui sont diplômés chaque année. La concurrence est dans tous les secteurs, y compris, dans certains que nous pensions intouchables. Ce changement est bien entendu une source d’inquiétudes. Elles sont d’autant plus fortes qu’elles se combinent à la peur que l’automatisation puisse demain remplacer l’homme dans l’outil industriel, ou que le progrès technologique ne profite qu’aux plus qualifiés et laisse les autres au bord du chemin.

Ces préoccupations contribuent à la crise de confiance que traverse toute l’Europe. Certains de nos concitoyens redoutent les effets de la mondialisation qui apparaît à leurs yeux comme une source d’insécurité et d’inégalités, ce qu’elle est aussi contrairement à ce que prétendent les tenants de la «mondialisation heureuse». Ceux qui aspirent à diriger demain notre pays à l’issue de la présidentielle ne peuvent faire l’économie de cette réflexion : il faut repenser la politique industrielle pour apporter des réponses concrètes et des garanties, qui nous permettent de rester des acteurs compétitifs de ce nouveau monde. C’est ce que nous avons commencé à faire, en accompagnant la modernisation de notre outil productif et en soutenant l’innovation de nos entreprises. Cette politique industrielle ne peut s’inscrire dans un modèle désormais obsolète qui veut que nous concevions, et que les pays émergents produisent.

Nous devons donc agir, et cette réponse doit être européenne : seul le cadre européen nous permet de lutter à armes égales avec les autres grandes puissances. Le projet européen qui s’est construit après la Seconde Guerre mondiale nous a apporté la paix. Grâce à l’Europe, nos pays sont plus prospères que jamais. Nous ne pourrons pas défendre le rêve européen si nous ne sommes pas capables de protéger nos citoyens, de conserver la maîtrise de nos technologies et la capacité à produire sur notre sol. Face à une mondialisation qui est violente pour beaucoup de nos concitoyens, l’espace économique européen ne peut pas demeurer ouvert aux quatre vents.

L’industrie est aussi une question de souveraineté. Comment pourrions-nous assurer la sécurité des Européens si nous ne maîtrisons pas les technologies critiques pour notre défense ? Comment pourrions-nous garantir l’intégrité des infrastructures de transport, numériques ou financières si nous dépendons de solutions industrielles non européennes ?

Nous vivons une révolution industrielle. Le big data, les matériaux avancés, l’impression 3D, la nécessaire transition énergétique sont autant de chances pour l’Europe, pour produire au plus près des consommateurs, de façon plus écologique, plus personnalisée et plus efficace. Si ces technologies nous échappent, nous sortirons du jeu. Demain, le véhicule connecté sera fait autant d’acier que de composants électroniques : si nous ne maîtrisons plus ces technologies, quel sera l’avenir de nos constructeurs automobiles ?

Nous ne croyons pas aux réponses protectionnistes, selon lesquelles les peuples européens gagneraient à se barricader derrière leurs frontières. Entre le fatalisme du déclin industriel et le repli aveugle et suicidaire, il y a un chemin. Nous devons revoir l’ensemble de nos politiques européennes à l’aune de ces bouleversements, avec pour ambition de posséder et promouvoir une industrie européenne puissante.

Notre politique commerciale doit garantir à nos entreprises des règles du jeu équitables. Les Etats-Unis demandent que la commande de trains à grande vitesse remportée par Alstom soit produite sur le sol américain. Est-il normal que l’Europe ne puisse exiger la même chose pour ses marchés publics ? De même, il a fallu quinze ans à l’Europe pour adapter ses instruments de défense commerciale, à la demande du gouvernement français. Est-il normal qu’il nous faille tant de temps, quand les Etats-Unis vont plus vite et frappent plus fort ?

En matière de concurrence, l’Europe doit intégrer l’objectif de constituer des champions européens capables de rivaliser à l’échelle mondiale, même si cela implique des positions fortes de ces champions en Europe. Nos concurrents se soucient-ils de positions fortes sur leur marché intérieur quand il s’agit de gagner des contrats à l’export ?

L’Europe doit enfin assumer un investissement fort dans les industries critiques, depuis la recherche et développement jusqu’aux projets les plus avancés, avec des moyens plus forts et plus réactifs. La complexité des mécanismes de soutien européens les rend déconnectés du rythme d’innovation de nos entreprises, en particulier des PME.

L’industrie sans usine n’est pas viable, l’Europe sans industrie non plus. C’est pourquoi, nous continuerons à porter des propositions pour refonder l’action européenne en matière industrielle, sur le thème du «Make in Europe», avec la création d’un instrument européen de contrôle des investissements, le renforcement des instruments de défense commerciale, la mise en place d’un «Buy European Act», la mobilisation des fonds européens pour soutenir l’émergence et la consolidation de champions industriels européens et l’accélération de l’initiative pour la numérisation de l’industrie.

Christophe Sirugue, Secrétaire d’Etat à l’Industrie.
Matthias Fekl, Secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur, de la Promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

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