Internet et droits d'auteur, une avancée

Par Françoise de Panafieu, députée, secrétaire nationale aux questions culturelles à l'UMP; Dominique Richard, député UMP, porte-parole sur le projet de loi et Laurent Wauquiez député UMP (LIBERATION, 03/03/06):

Après une première série de débats en décembre, le projet de loi sur les droits d'auteur revient donc devant l'Assemblée nationale. Inutile de le cacher, les précédentes discussions ont été des moments de grande tension, pour ne pas dire de doute et de confusion. Chacun de nous trois, nous étions alors dans l'hémicycle et nous avons pris part à ce débat avec nos sensibilités respectives. Les députés ont hésité entre licence globale et droits d'auteur. La mouture qui nous était alors proposée avait l'avantage de mettre en avant la protection des droits d'auteur mais elle passait un peu vite sur une réalité : Internet a été depuis au moins dix ans un espace de liberté sans bornes et sans règles. Toute une génération d'internautes a pris des habitudes de gratuité, d'échanges et d'accès sans limites à toutes les données. Revenir sur cet équilibre ne peut se faire qu'en prenant en compte toutes les parties concernées : créateurs, internautes, création indépendante...

Il faut parvenir à concilier cette liberté, qui fait la force du Net, avec la nécessaire protection du droit des artistes. Le projet, quels que soient ses nombreux aspects positifs, pouvait pécher par une forme de déséquilibre et le centre de gravité semblait trop éloigné des habitudes prises par les internautes.

Un hémicycle est une bête capricieuse. Même sans être tous férus de téléchargement ou de peer-to-peer, nous avons préféré, après le vote de l'amendement sur la licence globale, remettre l'ouvrage sur le métier. On dit souvent que l'Assemblée nationale est trop soumise. Cette fois-ci, ce ne fut pas le cas.

Depuis, nous avons tous repris le projet de loi pour le remodeler. Au niveau de l'UMP, Nicolas Sarkozy, dont l'intervention a été déterminante pour ramener un peu de sérénité, a rassemblé le monde des artistes dans sa diversité pour mieux faire entendre leurs attentes. Au sein du gouvernement, Renaud Donnedieu de Vabres a procédé aux nécessaires clarifications du texte, pour mieux concilier les libertés des internautes avec le respect du travail et de la rémunération de nos créateurs. A l'Assemblée, les séances de travail sur les amendements parlementaires ont alterné avec les rencontres avec les artistes.

Voici l'état d'esprit avec lequel nous allons aborder le débat qui s'ouvrira à nouveau le 7 mars.

Tout d'abord, la question de la création artistique est première. Cela passe par la protection du droit d'auteur et de sa juste rétribution. Il ne s'agit pas d'une approche purement comptable ou d'une réduction d'une musique ou d'un film à un produit de supérette protégé par un brevet comme un autre. Mais d'une évidence plus fondamentale : la création passe par la protection de l'oeuvre, par sa valorisation dans ce qu'elle a d'unique, et elle seule garantit la diversité culturelle et l'émergence des jeunes auteurs.

Cette position exclut la licence globale qui repose sur cette idée un peu folle selon laquelle, avec un forfait de 10 euros, vous auriez accès à tous les produits comme dans un supermarché magique. Ce serait la mort de la création et son nivellement par le bas. Il ne s'agit pas du chéquier des grands artistes mais tout simplement de l'équilibre d'un système de création qui, sans cela, n'aurait même plus l'audace de donner sa chance à de nouveaux talents. Le Net est un formidable outil de diffusion et d'ouverture culturelle. Il faut partir de cette force. Mais en même temps il doit être domestiqué, sinon le Janus peut prendre un autre visage et devenir une terrible menace pour la création artistique. C'est cet équilibre que nous devons trouver. Une fois garantie la protection de la création, il reste donc à ouvrir des espaces pour les internautes.

Premièrement, le droit à la copie privée. Nous disons bien le droit, et non l'exception de la copie privée. Car l'acquisition d'une oeuvre, surtout musicale, doit s'accompagner du droit reconnu à en faire une utilisation libre dans le cercle familial. La tendance à limiter voire exclure toute copie privée doit être clairement repoussée, car elle nous ramènerait à des restrictions même antérieures à l'époque de la cassette BASF. Télécharger puis copier un CD sur son ordinateur, son portable et son lecteur MP3 doivent rester des pratiques ouvertes et libres. C'est pour nous un point fondamental. Ce droit va très vraisemblablement jusqu'à cinq copies, même s'il appartiendra à un collège des médiateurs de le fixer. S'agissant du DVD, le droit à la copie privée supposerait néanmoins que toutes les garanties pour sa protection, réelle et optimale soient assurées.

Deuxièmement, l'interopérabilité. Pour faire simple, il s'agit d'éviter que Windows ou Mac verrouillent l'utilisation des fichiers au seul profit de leurs logiciels par le biais des DRM (digital rights management). Autrement dit, il faut garder l'espace des logiciels libres. C'est une priorité économique pour la France où l'industrie du logiciel libre est importante alors que nous manquons cruellement d'un Windows gaulois, patriotisme économique oblige. Il faut donc éviter toute forme de trust larvé ; en matière informatique, big brother n'est jamais loin. Mais c'est aussi une garantie en termes de diversité culturelle.

Troisièmement, refuser la mise en place d'une surveillance arbitraire de l'Internet. Dans sa première version, le projet parlait de réponse graduée et centrait la répression notamment sur l'internaute. La préoccupation du ministre était de sortir de la confusion juridique actuelle, qui pouvait conduire directement en prison, menottes aux mains,un internaute téléchargeant à l'excès . On pouvait partager ce souci. Toutefois, le risque, en centrant l'action sur l'internaute, était d'avoir un dispositif inefficace et de conduire à une opposition entre la communauté du Net et la communauté des artistes. Le projet de loi version initiale ne marquait pas assez la différence de traitement entre l'internaute et les organisateurs de la fraude. La nouvelle mouture que propose le ministre change de philosophie et il faut saluer son travail sur ce point. Au lieu de traquer l'internaute personne individuelle, on se tournera vers la lutte contre les sites de téléchargement illicite et les internautes qui l'organiseraient. C'est à la fois plus efficace et moins liberticide.

Ces différents points, par rapport aux autres pays européens et même par rapport aux Etats-Unis, représentent une avancée incontestable : protection du droit des artistes, garantie du droit à la copie privée, défense du logiciel libre et lutte contre le piratage centré sur le logiciel plutôt que sur la traque de l'internaute... voilà des points que la France serait la première à sanctuariser. Aucun pays en Europe ne l'a mis en avant jusque-là. Comme quoi même la transposition d'une directive européenne laisse un espace important à la créativité.

Il faut enfin avoir la lucidité de se dire qu'une fois la loi écrite ce n'est qu'une histoire qui commence. Le plus important reste à faire. D'une part, il va falloir mettre en oeuvre des plateformes de téléchargement. Si les pourvoyeurs de contenu ne jouent pas le jeu, tout cela aura été inutile. Les annonces de la mise en oeuvre du premier site de téléchargement dans le domaine du cinéma sont d'excellentes nouvelles. De même, la signature d'un accord négocié récemment par Renaud Donnedieu de Vabres entre fournisseurs de contenu et Education nationale va dans le bon sens. D'autre part, il faudra veiller à la diversité des contenus. Si c'est pour nous imposer à l'infini les blockbusters américains, nous aurons tout perdu. Mais de ce point de vue, par sa richesse et sa facilité, le Net est plutôt une chance pour la diversité culturelle.

Le Net représente une révolution culturelle d'une ampleur qui nous ramène à l'époque des premiers tâtonnements de l'imprimerie. Il n'est pas anormal que le législateur que nous sommes aborde ce sujet avec un minimum de prudence. Le défi est de taille : domestiquer ses extraordinaires apports en termes de diffusion culturelle sans que cela conduise à assécher la création artistique. Le doute du législateur a parfois du bon. Après la confusion du match aller, c'est le temps du match retour.