Internet et rhétorique

Dans Le Monde daté du 22 août, Franck Louvrier, conseiller du président de la République, nous livre ses pensées sur les relations entre Internet et la démocratie. Comme de nombreux autres commentateurs, il salue l'importance d'outils et de services comme Twitter pour permettre l'expression démocratique massive des individus.

Il souligne avec pertinence le danger d'une manipulation de ce nouvel espace public par des usurpateurs qui le pollueraient en diffusant des contenus se présentant comme l'expression de citoyens, alors qu'ils émanent de gouvernements autoritaires. Nous voilà réjouis de cette reconnaissance au plus haut niveau de l'Etat des bénéfices d'Internet pour la démocratie.

C'est alors que se révèle le véritable objet de la tribune de M. Louvrier : présenter les lois Hadopi comme une protection de l'espace public démocratique. On s'attendait à plus de modestie après la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin, censurant une part importante de la première de ces lois, justement parce qu'elle portait atteinte à la présomption d'innocence et à l'exercice concret des droits fondamentaux d'expression et de communication qui sont la condition de la démocratie.

On aurait aimé trouver une justification détaillée des nouvelles atteintes à ces droits qu'instaurerait la seconde loi Hadopi, dont ce même Conseil constitutionnel sera bientôt saisi. Qu'on nous explique, par exemple, ce qui peut justifier l'extension inouïe des procédures judiciaires expéditives par le biais des ordonnances pénales prévue par Hadopi 2. Que M. Louvrier défende les lois Hadopi dont il a été le maître d'oeuvre, prodiguant ses instructions à la ministre alors en charge, ne nous surprend pas. Mais la méthode utilisée pour cette défense doit nous faire réfléchir.

Car au détour de deux phrases, voici un étrange parallèle établi entre la défense de l'espace public démocratique et la répression du partage sans but lucratif sur Internet : "Ce qui menace Twitter, c'est moins la censure que la contrefaçon, la copie, en somme, le faux." Et voilà soudain les partageurs de fichiers, ceux-là qui sont la substance même de Twitter et de dizaines d'autres outils similaires, assimilés aux milliers de soutiers recrutés par des régimes autoritaires, comme la Chine, pour polluer l'expression publique des citoyens.

LE SENS DES MOTS

Voilà les sanctions automatiques prononcées par des juges, dont la fonction est réduite à néant, croulant sous la masse des procédures préparées par des agents privés et une machinerie administrative bancale, qualifiées de "sens de notre vie en commun dans une démocratie".

Le philosophe politique italien Gustavo Zagrebelsky a prononcé, en avril, lors de la Biennale de la démocratie à Turin, une "leçon sur la démocratie". Il y souligne que les dangers qui menacent la démocratie, bien visibles en Italie, émanent de son propre développement. Au premier rang de ces dangers, il place le développement de rhétoriques qui entendent frapper la pensée de stupeur en portant atteinte au sens même des mots. C'est exactement ce qui nous choque dans la tribune de M. Louvrier. Qu'il défende la loi Hadopi 2 et ses suites point par point sur leur réalité, mais qu'il laisse en paix le sens des mots, dont a besoin la démocratie.

Jérémie Zimmermann, cofondateurde La Quadrature du Net.