Interroger le sexisme du français est nécessaire

Des manifestantes brandissent une banderole «Le droit de vote aux femmes», en 1917 à Petrograd. — © TASS / AFP
Des manifestantes brandissent une banderole «Le droit de vote aux femmes», en 1917 à Petrograd. — © TASS / AFP

Les mots participent de notre représentation du monde social. Longtemps l’ambassadrice désigne l’épouse de l’ambassadeur; les agricultrices, indispensables à la survie des exploitations paysannes, apprécieront. Ce sont les cigarières de chez Vautier en 1907 à Yverdon ou les ouvrières de Pétrograd en février 1917 qui par leurs grèves courageuses bousculent leurs mondes respectifs.

Interroger le sexisme du français est nécessaire, l’objectif ambitieux, les réponses complexes, notamment en l’absence d’un genre et/ou d’un pronom neutres que le latin mettait à disposition, tels le hen suédois, l’it anglais, l’es allemand. Toucher à la langue remet en cause les identités, principalement de genre et sa hiérarchie arbitraire, et suscite dès lors des résistances fortes dans les bastions conservateurs sinon réactionnaires. En 2017, l’Académie française évoque rien de moins qu’un «péril mortel»… Or, la tradition, en histoire, a bon dos, puisqu’elle n’est qu’invention artificielle et récente, et occulte ou naturalise des rapports de force.

Démasculiniser le langage tombe sous le sens, mais la solution unique semble illusoire. «Une seule langue, une seule grammaire, une seule République», assène non sans relents totalitaires Jean-Michel Blanquer en 2017. Le ministre de l’Education nationale oublie-t-il que toute langue parlée nationale est par essence une langue victorieuse des régionalismes (breton, corse, etc.) combattus avec vigueur? Ainsi le Petit Conseil (le Conseil d’Etat d’alors) du tout jeune canton de Vaud décrète-t-il dès le 16 octobre 1806 (Titre III, art. 29) que «les régents interdiront à leurs écoliers, et s’interdiront absolument à eux-mêmes, l’usage du patois, dans les heures de l’Ecole et, en général, dans tout le cours de l’enseignement». Qu’on ne s’y trompe pas, le langage est politique, compris au sens le plus large du point de vue de la contrainte.

La double flexion ou le point intercalaire, employé notamment par le catalan et le gascon, apparaissent (provisoirement?) lourd à d’aucunes et d’aucuns (dont les dyslexiques?), mais ont l’avantage de rendre visible le féminin, contrairement au langage épicène. Celui-ci appauvrit le lexique en réduisant les possibilités de synonymie, mais présente l’atout majeur de ne pas reproduire une binarité de genre à l’origine même de la démarche du Temps. Depuis au moins les travaux d’Anne Fausto-Sterling (Les Cinq Sexes), on sait en effet que le dimorphisme femme-homme travestit la réalité biologique, puisque 2 à 4% de la population naissent hermaphrodites. L’inclusivité, au risque d’occulter une forte minorité, ne saurait donc ni se résoudre à une opposition réductrice elle/il ni se réfugier derrière une forme neutre (masculine) qui ne l’est nullement. La menace d’une pensée bipolaire du monde, frappant d’exclusion le tiers monde (intersexe), est bien réelle.

Et si, redonnant à la licence poétique son sens et son pouvoir étymologique (poíêsis, «création»), liberté était à tout moment accordée à vos rédacteurices de choisir, selon leurs subjectivités respectives, l’option de leur choix? Par ailleurs, selon une analogie avec les quotas, passer au féminin générique – même pour une durée transitoire d’un an par exemple, prolongeable au besoin – décoloniserait les mentalités de siècles d’hégémonie masculine et sensibiliserait les dominants hommes à ce que signifie se retrouver en minorité. L’ordre alphabétique («l’égalité femmes-hommes », «les candidates et les candidats», «tous et toutes») s’impose en tous les cas. L’accord adjectival ou participial selon la règle de majorité («ses sœurs et son frère sont soulagées»), qui fait pleinement sens, ou de proximité («ces trois jours et ces trois nuits entières»), bien plus naturelle que le masculin obligatoire, s’avère lui aussi jouissif en termes d’expérimentations sans cesse en cours d’une langue vivante affranchie de tout dogme. En faire l’histoire, c’est permettre à l’usage, «ouvert» et malléable par essence, d’en venir à bout.

Grégoire Gonin, licencié en science politique de l’Université de Lausanne.

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