Intervention militaire au Sahel : « Ce qui fait la force de nos ennemis, c’est la faiblesse de l’Etat malien »

Le 11 novembre a été inauguré, à Paris, un monument en mémoire des soldats « morts pour la France » loin de leur pays depuis 1963. Si on examine le contexte dans lequel sont morts les 549, et hélas bientôt 562, soldats dont le nom y est inscrit, on s’apercevra que presque tous sont tombés en luttant non contre des Etats, mais contre des organisations armées. Aujourd’hui, et pour ne considérer que le Sahel, nous affrontons Ansar Eddine, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), la katiba Macina et la katiba Al-Mourabitoune réunies dans un Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), ainsi que l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS).

Nous leur faisons la guerre d’abord parce qu’ils nous l’ont déclarée en 1995, lorsque ce qui deviendra plus tard AQMI a organisé une série d’attentats en France, envisageant même de lancer un avion de ligne au cœur de Paris. Ensuite, AQMI et d’autres ont entrepris de nous harceler dans le Sahel en tuant nos ressortissants ou en les prenant en otages. On s’est lors contentés de se protéger de leurs actions. Cela pouvait suffire pour contenir la menace. Mais certains Etats de la région, dont le Mali, nous ont appelés au secours avant son effondrement. C’est ainsi que, pour la première fois depuis 1978, nous nous sommes engagés directement au combat contre des organisations armées. Cette opération « Serval » a été un remarquable succès, en grande partie du fait de la territorialisation de l’ennemi dans le nord du Mali, qui fournissait des objectifs clairs, sinon faciles, à conquérir.

Centre de gravité

Les opérations militaires peuvent prendre deux formes : séquentielle et cumulative. Dans le premier cas, on progresse d’objectif en objectif jusqu’au but final. Dans le cas de « Serval », on pouvait voir les forces françaises et alliées progresser vers le nord, libérer Gao et Tombouctou, puis détruire la base d’AQMI dans la vallée de l’Ametettaï. Ajoutons que, dans cette forme de guerre, la réponse à la question « pourquoi nos soldats meurent-ils ? » n’induit que rarement le doute, car elle s’accompagne de succès visibles. Dans le second cas, il s’agit de l’agrégation d’une multitude de petites actions isolées – coups, frappes, assassinats, propagande, actions civiles, etc. –, dont on espère des deux côtés qu’elles finiront par produire un effet stratégique émergent, une capitulation, plus rarement une destruction, plus fréquemment une situation considérée comme acceptable. Toute la difficulté, dans ce dernier cas, est alors de savoir où s’arrête ce qui suffit.

Nous aurions pu nous retirer du Mali à la fin de 2013, en déclarant la mission comme accomplie, ce qui aurait été vrai, quitte à revenir plus tard en cas de besoin. C’est ce que nous avons fait au Tchad, en 1972, après avoir vaincu mais non détruit le Front de libération nationale. C’est ce que je prônais à l’époque. Nous avons préféré rester au Mali et, en passant de « Serval » à « Barkhane », nous sommes passés d’une forme d’opération à l’autre. Il nous fallait donc trouver où s’arrêtait ce qui suffisait.

On considérait alors que la mission serait accomplie lorsque nous serions relevés par les Nations unies et surtout par les Forces armées maliennes (FAMa). Cette relève, comme c’était hélas prévisible, n’est pas venue. La mission des Nations unies (Minusma) s’est avérée aussi inefficace et coûteuse que toutes les autres, et la mission de formation des FAMa s’est révélée stérile car le problème des FAMa n’était pas technique mais politique : elles sont adossées à un Etat failli et corrompu.

Une bonne stratégie recherche le centre de gravité de l’ennemi, ce qui fait sa force, et s’efforce ensuite de le réduire. Or, le centre de gravité des djihadistes n’est pas leurs chefs ou les quelques milliers de combattants, que nous éliminons et qui se renouvellent. Le centre de gravité des djihadistes est à Bamako. Ce qui fait la force de nos ennemis, c’est l’incapacité de l’Etat malien à établir une paix durable avec les Touareg, à faire venir son armée ou la police dans les villages qui appellent à l’aide, à empêcher la création de milices d’autodéfense qui vont à leur tour provoquer des exactions. Il apparaît comme une administration corrompue et inefficace face à des organisations qui, elles, rendent la justice, éduquent parfois, font la police et payent leurs combattants.

Pas de solution facile

En l’état actuel des choses au Mali et au Burkina Faso, il n’existe que trois options militaires pour la France. On peut rester ainsi en espérant que les choses vont finir par s’améliorer, qu’un sursaut national va donner des forces nouvelles. C’est très risqué. On peut décider de replier les forces du Mali pour se redéployer ailleurs. Ce serait avouer une forme de défaite, redonner de la liberté d’action aux djihadistes, nourrir de nouvelles accusations, d’abandon cette fois, succédant à celles de trop grande ingérence. Mais cela peut être considéré comme un signal fort au Mali et susciter par peur ce sursaut. C’est également très risqué.

On peut décider, au contraire, un renforcement, à la manière du « sursaut » américain en Irak en 2007, dont on rappellera que le principal renfort n’était pas venu des 30 000 soldats américains, mais des 100 000 miliciens sunnites qui les ont ralliés. On peut chercher à augmenter notre capacité à donner des coups en récupérant des moyens que nous avons une fâcheuse tendance à disperser dans le monde et les rues de métropole. Cela peut donner un léger mieux, mais guère plus.

Si on veut avoir plus d’effets, il faut être sur le terrain et prendre aussi des forces locales sous notre commandement, seule manière d’obtenir un effet de masse, avec l’accord plein et entier, évidemment, des autorités locales. Cela a souvent démontré son efficacité, mais que de réticences à lever ! Le renforcement peut aussi venir des Etats africains voisins. Le principe d’une force commune G5 Sahel est évidemment une bonne idée, à condition que l’on trouve rapidement le financement nécessaire. Il n’y a pas de solution militaire facile, il n’y en aura aucune d’efficace si aucun changement ne survient au sommet des Etats. Ce sont les nations et les Etats qui font les guerres, pas les armées.

Michel Goya est ancien colonel des troupes de marine. Il a notamment écrit « S’adapter pour vaincre. Comment les armées évoluent » (Perrin, 432 pages, 24 euros).

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