Irak, le mea-culpa d’un ex-ministre de Blair

Le rapport très attendu sur la genèse et la conduite de la guerre en Irak pourrait se résumer par la remarque limpide adressée à Napoléon après l’assassinat sans raison d’un opposant : «C’est pire qu’un crime, c’est une faute.»

Sir John Chilcot, membre éminent de la classe politique britannique, vient de présenter un volumineux rapport qui décrit, en détails, l’une des pires fautes commises par son pays, au même rang que l’invasion du canal de Suez et, peut-être, que le récent référendum sur le Brexit : la participation à la guerre en Irak.

Je dois faire mon propre mea culpa, car, en tant que sous-secrétaire d’Etat, j’étais le numéro 2 du Foreign Office, et, comme 417 autres députés, dont essentiellement des tories, j’ai voté pour une guerre qui est devenue le fiasco dont l’Europe et le monde pâtissent encore.

La destruction de l’Etat irakien, en 2003, a ouvert les portes de l’enfer, débouchant sur un affrontement entre chiites et sunnites qui a toujours des répercussions à l’heure actuelle.

Sir John Chilcot met à nu, avec une extrême précision, l’incapacité du gouvernement à s’opposer au Premier ministre pour éviter l’intervention du Royaume-Uni en Irak. Il montre comment les plus hauts dirigeants du renseignement et de la diplomatie britanniques ont donné à Tony Blair des informations fausses qui ont appuyé sa décision de suivre Washington.

Son rapport dénonce sans pitié les manquements des généraux, qui n’ont pas équipé leurs hommes, et l’arrogance des gradés convaincus que 5 000 soldats britanniques pourraient pacifier les 2,2 millions d’habitants de la région de Bassorah qui ont multiplié les règlements de comptes lorsque Saddam Hussein et son régime dictatorial ont été renversés.

J’étais à l’époque ministre au Foreign Office. Je tenais un journal, et je peux affirmer que je n’ai vu personne, dans l’appareil d’Etat, s’interroger ne serait-ce qu’un quart de seconde sur la nécessité de s’attaquer à Saddam Hussein.

Pourquoi personne au Foreign Office, hormis une jeune juriste qui, et c’est tout à son honneur, a démissionné en signe de désaccord, n’a posé la moindre question ?

Chaque génération politique entend ne pas réitérer les erreurs de l’équipe à laquelle elle succède. Dans les années 90, on reprochait au gouvernement conservateur de John Major d’avoir été faible et de ne pas avoir dénoncé les violations des droits de l’homme perpétrées par Slobodan Milosevic à Sarajevo, à Srebrenica et au Kosovo. Nombreux étaient ceux qui accusaient les diplomates britanniques aux Nations unies d’être incapables de faire cesser un génocide au Rwanda ou les massacres à grande échelle en Somalie et au Soudan.

Le concept de «droit d’ingérence» ou de «devoir de protection» ou la nécessité d’un tribunal pénal international pour juger les Milosevic et les Saddam Hussein du monde entier ont été mis en avant par des intellectuels comme Michael Ignatieff, salués par des politiques et des avocats défenseurs des droits de l’homme.

On pensait qu’un gouvernement travailliste prêt à recourir à la force militaire, comme on l’avait fait au Kosovo, en Indonésie ou en Sierra Leone, pourrait destituer Saddam Hussein, comme s’il s’agissait d’un nouveau Milosevic ou d’un seigneur de guerre hutu.

Dix ans plus tard, le Premier ministre britannique, David Cameron, a commis la même faute en intervenant pour se débarrasser d’un monstrueux dictateur en Libye : il a contribué à détruire l’Etat libyen de la même façon que l’Irak avait été détruit et à déclencher l’énorme vague de réfugiés, de jihadistes et de migrants économiques d’Afrique subsaharienne qui déferle aujourd’hui sur l’Europe.

La tragédie irakienne ne résulte pas des fautes commises à l’époque, mais de l’absence de leçons qui en ont été tirées. A l’instar des Etats-Unis, le Royaume-Uni renonce maintenant à l’interventionnisme, et d’aucuns estiment que la décision de l’isoler de l’Europe et de relever le pont-levis est aussi une réaction à l’arrogance dont Tony Blair a fait montre en Irak.

Actuellement, à Londres, tout le monde se renvoie la balle. Mais l’incapacité collective des élites politiques, des ministres aussi bien conservateurs que travaillistes, et des mandarins qui constituent l’Etat dans l’Etat, à prendre la bonne décision concernant l’Irak sera lourde de conséquences pour les décennies à venir.

Denis Macshane, ex-député travailliste et ministre au Foreign Office (1997-2005). Traduit de l’anglais par Architexte, Paris (Marie-Paule Bonnafous, Martine Delibie et Aurélien Monnet).

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