Iran-Arabie saoudite: peut-on sortir de l’impasse?

Le prince héritier du Royaume d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, est pressé lui aussi d’en finir avec l’héritage de Barack Obama. Riyadh, 24 octobre 2017. © FAYEZ NURELDINE/AFP PHOTO
Le prince héritier du Royaume d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, est pressé lui aussi d’en finir avec l’héritage de Barack Obama. Riyadh, 24 octobre 2017. © FAYEZ NURELDINE/AFP PHOTO

Tous les ingrédients d’une nouvelle déflagration au Moyen-Orient sont désormais réunis. L’accord scellé entre Washington et Riyad en mai 2017 ne laisse aucun doute sur les intentions de Donald Trump de pousser les Iraniens à la faute. En Arabie saoudite, l’homme fort est désormais le prince héritier Mohammed ben Salmane, dit MBS. Ambitieux, et pressé lui aussi d’en finir avec l’héritage de Barack Obama, il considère que son pays a été négligé par l’ancienne administration démocrate, qui était soucieuse de normaliser les relations avec Téhéran.

Politique étrangère saoudienne

A l’origine de la rivalité irano-saoudienne, il y a notamment, même si ce n’est qu’un prétexte, le vieux clivage sunnisme-chiisme. La constitution virtuelle d’un «croissant chiite» dominé par l’Iran et traversant l’Irak, la Syrie et le Liban, avec des extensions au Yémen et à Bahreïn, effraie l’Arabie saoudite, «championne» de l’islam sunnite. Pour pallier l’inconfort de cette position, la politique étrangère de Riyad s’articule traditionnellement en trois cercles.

Le premier cercle, c’est la péninsule Arabique. L’Arabie saoudite a été le moteur de la création du Conseil de coopération du golfe (CCG). Le but est de s’assurer le soutien des autres membres, d’obtenir l’apaisement des tensions de voisinage et enfin de conforter sa place de première puissance locale. Le deuxième cercle du champ d’influence saoudien, c’est le reste du monde arabo-musulman. Gardienne des Lieux saints, l’Arabie saoudite entend exercer un magistère moral et religieux auprès des musulmans de toute la planète. Quant au troisième cercle, il serait inexistant s’il n’y avait l’arme pétrolière, source de l’extrême richesse des dirigeants du pays, de leur pouvoir de contrainte sur les économies occidentales et des liens privilégiés avec les Etats-Unis depuis 1945.

Mais que veut MBS?

Dans les années 80, après la révolution iranienne, le royaume a pu faire figure de chef de file d’un bloc de «pétromonarchies» modérées et prudentes, plutôt alliées des Occidentaux en cette fin de Guerre froide. Mais cette prudence n’a pas tardé à ressembler à une sclérose. Où en est-on aujourd’hui? L’Arabie saoudite évite d’assumer ses responsabilités dans la diffusion mondiale du wahhabisme et balaie les critiques concernant sa politique étrangère, notamment au Yémen. Ce qui ne l’empêche pas de rappeler sans cesse l’hostilité de ses voisins, Iran, Irak, Yémen, pour justifier une diplomatie dominée par la peur et les menaces. Le CCG est en panne depuis la rupture des relations avec le Qatar. Le monde sunnite est plus divisé que jamais. On assiste à la montée des trois puissances non arabes du Moyen-Orient: Iran, Turquie et Israël. Seul le lien avec Washington résiste, puisqu’il a été remis à l’honneur par le président Trump…

La nervosité des dirigeants du royaume s’explique par la grande vulnérabilité de celui-ci, toujours dépendant du soutien américain, même s’il s’efforce de ne pas avoir l’air protégé par une puissance étrangère. Sur le plan intérieur, la réputation du régime saoudien n’est que trop connue. Un régime qui rejette tout débat sur l’exercice du pouvoir, l’intégration des citoyens et la redistribution des richesses. Et qui pourtant repose sur une famille divisée et qui vit dans la hantise d’une révolution du palais ou d’un soulèvement des populations chiites du pays.

Le régime est en train de bouger. MBS a non seulement réussi à neutraliser tous les personnages influents et autres prétendants au trône, mais il les a humiliés en les impliquant dans des affaires de corruption et de malversation financière. Ainsi, l’équilibre du pouvoir au sein de la famille régnante est rompu, ce qui veut dire aussi que tous les contre-pouvoirs sont désactivés, ce qui n’est pas de bon augure. La rapidité et la radicalité des purges menées par MBS font de lui, pour l’heure, un acteur nouveau et imprévu. C’est une incertitude supplémentaire sur une scène mondiale de plus en plus agitée.

Instrumentalisation du religieux

Depuis bientôt quarante ans, Washington a presque constamment marginalisé Téhéran dans les relations internationales tout en choyant Riyad. Or l’Iran semble, en comparaison avec l’Arabie saoudite, mener une stratégie pragmatique, sur une plus large échelle, qui domine la diplomatie volontariste du royaume. L’apaisement de la rivalité irano-saoudienne et de ses manifestations dépend principalement de l’aplanissement du problème de base, à savoir l’instrumentalisation du clivage confessionnel dans le cadre d’une entreprise d’hégémonie politique. Si cette éventualité pouvait se réaliser, les deux pays réduiraient le niveau des violences commises au nom des idéologies dont ils se réclament. Mais il faudrait pour cela une reconnaissance mutuelle et la reprise d’un dialogue constructif.

Pour l’heure, les deux protagonistes sont animés par l’obsession d’affaiblir et d’isoler l’adversaire. La montée en puissance du prince héritier saoudien, partisan d’une ligne dure, est un cadeau inespéré pour l’aile radicale du régime de Téhéran, toujours en embuscade pour mettre en difficulté le président réformateur Rohani. A défaut de pouvoir abroger l’accord nucléaire avec l’Iran, Trump est peut-être en train d’engager le Moyen-Orient dans un nouvel engrenage alors que la convalescence post-Daech n’est même pas entamée.

Hasni Abidi est directeur du Cermam à Genève.
Lara al-Raisi, Omanaise, spécialiste du CCG.

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