Iran, l’opaque ingénierie électorale de la présidentielle

En Iran, l’élection présidentielle du 14 juin prochain diffère de ­celles qui se sont déroulées en République islamique depuis 1979. Elle fait en effet suite à l’élection de 2009 dont les résultats – la réélection de M. Ahmadinejad – ont été largement contestés par une grande partie des électeurs iraniens. Cette contestation populaire avait surpris le monde entier par son ampleur sans précédent dans le pays depuis la chute du Shah. Il s’est agi de la plus grave crise que le régime islamique ait connue depuis sa fondation. La contestation a été réprimée de manière extrêmement brutale par les forces spéciales du régime aux ordres du guide, Ali Khamenei. Ce dernier a pris fait et cause pour Ahmadinejad et a perdu en même temps son prétendu rôle d’arbitre entre les diverses factions fondamentalistes qui se disputent le pouvoir. L’élection de juin prochain est donc la première qui se déroule après cette crise de 2009. Le régime a mobilisé tous les moyens répressifs dont il dispose pour éviter à tout prix qu’un événement de ce type ne se reproduise. La crainte des perturbations politiques avait déjà amené les autorités à reporter les élections régionales et municipales de deux ans. Ces dernières, pourtant prévues par la Constitution de la République islamique, vont ainsi avoir lieu pour la première fois depuis 1979 en même temps que l’élection présidentielle du 14 juin.

D’abord, le processus de sélection des candidats à l’élection présidentielle en République islamique est singulier. La validation des candidatures fait partie des prérogatives d’une institution particulière à la République islamique: le Conseil des Gardiens. La moitié de ses douze membres est nommée par le guide lui-même. Les six autres le sont par le parlement, mais sur proposition du pouvoir judiciaire dont le responsable est aussi désigné par le guide. Autant dire que cette instance importante du système islamique est entièrement au service d’Ali Khamenei. Aucune candidature n’est validée sans son aval. Sur les plus de 600 candidats qui se sont déclarés aujourd’hui – parmi lesquels environ 35 noms connus et une trentaine de femmes –, en fin de compte, au terme de quelques jours d’examen, le Conseil n’en retiendra que quelques-uns, parmi ceux qui sont considérés comme les plus loyaux au régime.

Ensuite, une fois ces candidats sélectionnés, s’ouvrira une courte campagne électorale de deux ou trois semaines. A ce niveau, tout est fait pour donner l’impression d’une véritable campagne concurrentielle afin d’animer les réunions et d’encourager les citoyens à aller voter. Il s’agit ainsi de montrer la «popularité» des élections à l’opinion publique interne et internationale et de démontrer au monde que la République islamique est en quelque sorte «démocratique». Pourtant, outre la façade «démocratique» du régime aux yeux de la communauté internationale, ce que la décision de soutien inconditionnel de Khamenei à Mahmoud Ahmadinejad a brisé en 2009, c’est ce sentiment que l’électeur avait de pouvoir choisir lui-même un candidat parmi ceux bien sûr sélectionnés en haut lieu. Un des enjeux de la présente élection est donc justement de recoller cette image brisée. A la première étape du processus électoral qui s’est terminée le 12 mai, cet exercice semble réussi. L’acceptation inattendue de l’inscription des candidatures de l’ancien président Rafsandjani considéré comme un pragmatique et de Esfandiar Rahim Mashaïe, le candidat favori de M. Ahmadinejad, autorisée sans doute par le guide, a créé un effet de surprise qui peut contribuer à éveiller quelque peu l’intérêt du public iranien pour l’élection. On relèvera au passage que Khatami, en tant que «réformateur» désormais rangé dans le camp de la «sédition», n’a pas pu s’inscrire.

Reste la prochaine étape, celle de la sélection ultime des finalistes autorisés à concourir. Ici les choses deviennent très compliquées pour un régime traversé par des dissensions internes profondes. Car comment rejeter la candidature de Rafsandjani, ancien président de la République et personnage central de toute l’histoire de la République islamique, aujourd’hui décrié par le camp des durs du régime? Comment ne pas accepter Jalili, le chef de la délégation iranienne dans la négociation internationale sur le dossier du nucléaire, un personnage falot, mais un serviteur dévoué du guide? Comment ne pas tenir compte de Mohammad-Baqer Qalibaf, le maire de Téhéran, un conservateur pragmatique connu pour sa gestion efficace de la capitale? Et que faire de Esfandiar ­Rahim Mashaïe, le favori d’Ahmadinejad qui rêve d’en faire son Medvedev? Ici va sans doute intervenir ce qu’un dirigeant des pasdarans, les Gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime, a appelé «l’ingénierie électorale», dont le mode de fonctionnement n’a pas été révélé au commun des mortels…

Viendra enfin la phase finale du 14 juin: l’élection à proprement parler. Qui sera le prochain président? Question à plusieurs milliards de rials, car en République islamique, comme il se doit dans une théocratie, si les citoyens votent, c’est «Dieu» – entendez le guide – qui décide…

Mohammad-Reza Djalili, professeur à l’IHEID à Genève.

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