Iran : « L’Union européenne a raison de se démarquer des Etats-Unis »

Le défi intérieur lancé au président Hassan Rohani par les manifestants a braqué les projecteurs sur les profondes frustrations économiques et politiques de la population, et ce à un moment délicat de la politique étrangère du président liée à l’accord nucléaire. Le président Donald Trump a remis en question le maintien de cet accord et dénoncé les dirigeants iraniens. Il devra décider dès la mi-janvier s’il donne son accord à la poursuite du processus de levée des sanctions, condition sine qua non pour que l’Iran puisse réintégrer l’économie mondiale. L’administration américaine n’a pas encore arrêté sa position et certains signes indiquent que les manifestations en Iran pourraient peser dans la décision finale.

Les Etats-Unis ont été l’un des premiers pays à publier une déclaration accusant les dirigeants iraniens de transformer leur pays en un « Etat voyou économiquement affaibli ». La remarque se situait dans le droit fil d’une déclaration du secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, en juin 2017, dans laquelle il exprimait son soutien « aux éléments qui, en Iran, permettraient de parvenir à une transition pacifique du pouvoir ».

Le président Trump a utilisé le canal de Twitter pour émettre une série de commentaires sur les manifestations, dont l’un exprimait son « respect au peuple iranien qui tente de se débarrasser de son gouvernement corrompu ». Ajoutant  :  « Vous verrez un grand soutien des Etats-Unis au moment opportun ! »

Ces messages de responsables américains apportent de l’eau au moulin des officiels iraniens qui accusent les manifestants d’être soutenus par des ennemis de l’étranger. Les Tweet de Trump sont du pain bénit pour l’aile la plus dure du régime iranien : ils légitiment la sécurisation toujours plus grande du pays, dissuadant par là la société civile de s’organiser et réduisant l’espace de futurs mouvements de contestation.

Les Européens se sont abstenus d’utiliser ce type de rhétorique dangereuse et ont préféré insister sur le fait que l’Iran devait autoriser les manifestations pacifiques et procéder à une désescalade de la violence. Une déclaration de l’Union européenne (UE) déplore « la perte inacceptable de vies humaines » et espère « que les parties concernées s’abstiendront de tout recours à la violence et que, comme s’y est engagé le gouvernement iranien, le droit à la liberté d’expression sera garanti ». Ce communiqué reprend la position de plusieurs gouvernements européens dont ceux de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni.

Utiliser les canaux diplomatiques existant avec l’Iran

Au lieu d’emboîter le pas à Trump et de dénoncer l’ensemble des dirigeants iraniens comme des « voyous » et des « corrompus », la déclaration de l’UE souligne que l’Europe et l’Iran doivent engager le dialogue avec « franchise et respect ». Les gouvernements européens semblent recourir aux canaux diplomatiques avec l’Iran pour faire toute la lumière sur les récents événements et exposer leurs attentes. Le président Emmanuel Macron est resté en contact direct avec Rohani, auprès duquel il a insisté pour que les autorités fassent preuve de retenue dans leur riposte aux manifestations.

Face aux événements en cours en Iran, les acteurs européens doivent continuer à défendre toutes les initiatives susceptibles de renforcer, et non d’affaiblir, le processus de réformes démocratiques que réclame la population. En premier lieu, les dirigeants européens devraient exhorter de manière insistante et publique le gouvernement iranien à faire respecter le droit de se rassembler de manière pacifique, prévu dans la Constitution iranienne, et demander à Rohani d’honorer sa promesse d’assouplir les conditions d’organisation de manifestations pacifiques.

En deuxième lieu, les dirigeants européens doivent utiliser les canaux diplomatiques existant avec l’Iran pour s’adresser à Rohani. Ils doivent exhorter le gouvernement iranien à faire preuve de retenue dans le recours à la force contre les manifestants et souligner qu’une augmentation du nombre des morts et des emprisonnements ne pourra que porter tort aux relations économiques, politiques et culturelles avec l’Iran.

Ils doivent également montrer qu’ils sont conscients de la complexité de la situation politique et sécuritaire de l’Iran dans un contexte de tension régionale croissante. Comme l’a souligné Emmanuel Macron, il est important de maintenir un dialogue franc avec l’Iran car le discours actuel des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite à propos de ce pays revient à « subrepticement reconstruire un “axe du Mal” », qui risque de conduire à la guerre.

Tout faire pour éviter l’émergence d’une nouvelle crise mondiale

Enfin, les gouvernements européens doivent continuer à manifester leur soutien entier à l’accord nucléaire. Dans les jours qui viennent, alors que Trump débattra de l’opportunité de poursuivre la levée des sanctions, il pourrait bien envisager d’utiliser les manifestations en Iran comme un prétexte pour choisir la solution qui a sa préférence, à savoir la sortie de l’accord avec l’Iran. Tant que l’Iran respecte ses engagements nucléaires, les pays européens devraient tout faire pour éviter l’émergence d’une nouvelle crise mondiale.

Par ailleurs, les dirigeants européens devraient faire comprendre au gouvernement et au Congrès américains que la résolution diplomatique du dossier nucléaire a permis au débat intérieur iranien de ne plus rejeter sur les sanctions et acteurs internationaux la principale responsabilité de la stagnation économique. Le discours intérieur iranien dispose à présent d’un plus grand espace pour dénoncer la mauvaise gestion, la corruption systématique et l’injustice sociale, et les Iraniens peuvent plus facilement demander des comptes à leurs dirigeants et exiger des initiatives de leur part.

Une dénonciation de l’accord nucléaire détournerait le débat public iranien et les priorités gouvernementales vers des questions de politique étrangère, au détriment des priorités intérieures. Cela porterait un coup d’arrêt extrêmement dommageable aux réformes indispensables auxquelles, un jour ou l’autre, les Iraniens devront eux-mêmes procéder.

Par Ellie Geranmayeh, analyste au Conseil européen des relations internationales.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *