Iran : « Un désaveu cinglant pour les partisans d’un gouvernement religieux »

Après plusieurs jours de manifestations des classes populaires et d’une partie de la classe moyenne iraniennes contre la détérioration des conditions de vie et contre la République islamique, Téhéran est face à un défi majeur pour restaurer l’ordre et, à plus long terme, assurer la survie de la révolution de 1978-1979. Ces manifestations contre le régime ont des raisons à la fois immédiates et structurelles. Les raisons immédiates, ce sont les hausses des prix – les œufs qui ont par exemple augmenté de 40 % –, la fin annoncée des subventions mensuelles versées aux plus démunis et la faillite d’établissements bancaires.

D’une manière générale, il y a une grande déception par rapport à l’accord sur le nucléaire du 14 juillet 2015, qui n’a pas conduit à ce que les Iraniens espéraient : des améliorations dans leur vie. Les manifestants soulignent ainsi, une nouvelle fois, leur lassitude par rapport aux idéaux révolutionnaires de la République islamique en général et à leur coût économique en particulier. Ils visent la distribution de l’argent de la rente pétrolière à des clients de la République islamique (Hezbollah, Hamas, certaines milices chiites en Irak mais surtout en Syrie) dans les pays de la région ; des sommes qu’ils préféreraient voir dépensées à l’intérieur du pays.

De même, comment le candidat Rohani peut-il promettre la fin des sanctions américaines non liées au nucléaire, alors que son gouvernement n’a pas les moyens de mettre en œuvre une réforme de la politique régionale de l’Iran visée par ces mêmes sanctions ?

Libéralisme persan

Mais, au-delà de l’exacerbation des mécontentements liés au double discours des instances élues de la République islamique, il y a bien des raisons structurelles à la contestation sociale en Iran, comme la corruption et la mauvaise redistribution de la rente pétrolière, des problèmes auxquels le régime est incapable d’apporter un remède. Celui-ci apparaît comme une caste de privilégiés (les khodi), qui bénéficient de cette rente et ne font rien pour organiser sa redistribution aux outsiders (les gheyr-e-khodi). D’où un sentiment d’injustice immense.

La solution Rohani, en fait, ne fonctionne pas : il y a une contradiction entre le néolibéralisme promu par la faction élue et le clientélisme du régime, que l’on peut voir à l’œuvre notamment dans les manifestations prorégime. La pétro-théocratie parlementaire et milicienne iranienne peut-elle surmonter ces contradictions ?

Pour gérer les mécontentements, le fondateur de la République islamique a mis en place un système politique ingénieux que l’on peut qualifier de régime autoritaire électif. La dimension élective prévoit un pluralisme limité au sein du système (nezâm). D’un côté, la voie « réformatrice » ou « modérée » prétend améliorer les droits civils de la population en utilisant leurs aspirations à plus de libertés lors des campagnes électorales, tout en mettant en œuvre une politique suivant le modèle chinois une fois élue. Mais, pour que cette voie réussisse, une croissance élevée est nécessaire pour avoir des effets sur les conditions de vie de la classe moyenne, et il faudrait que les classes populaires, tout comme la société civile, s’accommodent du caractère autoritaire du régime politique en place.

Cela ne fonctionne pas en Iran, en raison de l’existence d’un libéralisme persan présent dans la société depuis la Révolution constitutionnaliste de 1906 et de l’échec économique de la République islamique. En effet, les politiques d’austérité néolibérale qui suivent les recommandations du Fonds monétaire international (FMI) sont en contradiction avec les promesses révolutionnaires de donner la priorité aux déshérités (mostazafin). L’ajustement structurel de l’économie iranienne se fait donc au prix du sacrifice de l’idéal révolutionnaire originel de justice sociale islamique.

Mollah businessman

De l’autre côté du spectre politique, les factions conservatrices (osulgarayan) proposent comme alternative une politique irréfléchie de redistribution de la rente pétrolière à la population. Cette fois-ci, la promesse révolutionnaire est tenue, mais au prix d’une mise en danger des fondamentaux macroéconomiques du pays, avec notamment une inflation galopante. C’est cette double impasse des politiques économiques suivies par les factions islamistes opposées qui est dénoncée par les manifestants. Puisque voter n’est plus une option pour parvenir à une prise en compte de leurs problèmes, les citoyens les plus touchés par l’inefficacité économique de la République islamique se transforment en manifestants.

Face à cette double impasse des factions islamistes, que peut faire le président centriste Rohani ? Dans un contexte de polarisation sociale à l’intérieur du pays, il en est réduit à désigner le bouc émissaire américain pour justifier la faillite des politiques économiques d’un système qui a toujours méprisé ces questions. L’ayatollah Khomeyni aurait déclaré en son temps que « l’économie est bonne pour les ânes ».

Il s’agissait alors de montrer la priorité qui doit être accordée aux questions spirituelles. C’est pourtant bien aujourd’hui les questions d’économie politique qui placent la République islamique face à ses contradictions entre la figure du mollah businessman et capitaliste et l’ambition de la Révolution islamique à se présenter comme le défenseur des déshérités. Une partie de ces déshérités sont dans la rue pour dénoncer l’accaparement des richesses du pays par la nouvelle élite politico-religieuse. C’est déjà un désaveu cinglant pour les partisans d’un gouvernement religieux qui pensaient que l’islam chiite devait être au centre de tout gouvernement légitime en Iran.

Par Clément Therme, Chercheur pour le programme Moyen-Orient de l'International Institute for Strategic Studies (IISS).

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