Iran, une nouvelle page ?

La conversation téléphonique du vendredi 27 septembre 2013 entre Barack Obama et Hassan Rohani est une date historique. C'est le premier contact officiel d'un président des Etats-Unis et de son homologue iranien depuis la Révolution de 1979, un tournant qui bouscule force prévisions. La "poignée de mains historique" qui était publiquement espérée par le président iranien n'a pas eu lieu, alors que maints espoirs avaient été placés dans l'aubaine unique de la présence simultanée des deux chefs d'Etat à New-York. Ce qui passe pour un regrettable loupé aux yeux de commentateurs aussi bien iraniens qu'occidentaux (une occasion perdue) reflète plutôt un souci des deux parties d'éviter qu'un imprévu ne fasse capoter ce qui apparaît comme un pivôt dans l'entreprise actuelle de démarrage de véritables négociations. Barack Obama a justifié l'annulation de cette rencontre au motif officiel que celle-ci était encore compliquée  à ce stade pour les Iraniens. Une façon d'inviter son interlocuteur à bien verrouiller sa position avec le Guide suprême, élément décisif d'une quelconque percée. On devine que dans le camp conservateur persistent de fortes réticences à toute détente.

En second lieu, le dispositif iranien de négociation n'est pas complètement finalisé, sans doute parce que derrière la répartition des rôles se cachent des enjeux de pouvoir, donc de savant dosages. Aujourd'hui encore, bien que le très expérimenté ministre des affaires étrangères ait été clairement désigné comme pilote de l'opération aux côtés du président, on a perçu que des rodages délicats sont encore en cours, notamment à propos de l'articulation des responsabilités entre le ministre et le Conseil suprême de la sécurité nationale dont le secrétaire était traditionnellement le négociateur principal, à l'instar de Saeed Jalili. De même , le fait que Bijan Namdar Zanganeh, le ministre du pétrole, ait décidé en dernière minute de ne pas se joindre à la délégation iranienne est un signe de ce que la gestion de ces manœuvres demeure délicate.

On peut penser aussi que la Maison-Blanche a voulu s'assurer avant toute "poignée de mains" de ce que la réunion des 5+1 avec les Iraniens permette de jauger si Téhéran avait vraiment l'intention de parvenir à un compromis réaliste sur le nucléaire. De fait,même si les interlocuteurs de Mohammad Javad Zarif avaient compris qu'il voulait traiter ce dossier selon un ton nouveau et apaisé, ils avaient besoin de vérifier que la République islamique était capable d'apporter des réponses de fond aux attentes formulées à son égard. Ils ont été agréablement surpris de voir que leurs vis à vis ont présenté des approches différentes ,plus réalistes que leurs prédécesseurs, donnant de la sorte matière à négociation ; la rupture par rapport au passé se situe ici, et non pas sur le seul climat de ces échanges, au demeurant plus détendus. La rencontre bilatérale impromptue entre M. Zarif et John Kerry n'a pas été qu'un simple échange d'amabilités mais les deux interlocuteurs ont compris qu'ils ont des choses à se dire.

UN TEST CONCLUANT

Les divers "messages", déclarations, présentations, interviews délivrés par MM. Rohani et Zarif pendant cette visite à New-York visaient à donner une image nouvelle de l'Iran ,celle d'un pays devenu "fréquentable", y compris en incluant un représentant de la communauté juive dans la délégation iranienne. Mais plus encore, Barack Obama, de son côté, a livré des signaux très précis à Téhéran selon un language dont le "code" est parfaitement connu des seuls Iraniens. En réaffirmant le "respect" dû à l'Iran, et, en se référant à la fatwa de Ali Khamenei qui interdirait la possession d'une bombe, ce qui attesterait la volonté de Téhéran d'y renoncer, c'est un vrai signal que Barack Obama lance : le respect est une vieille revendication des Iraniens. Quant à la fatwa du Guide, régulièrement brandie par eux comme garantie de l'absence de programme nucléaire militaire, elle n'avait guère convaincu les occidentaux. En s'y référant, Barack Obama en réalité donne acte à Ali Khamenei de ce qu'il a conféré véritablement autorité à M. Rohani pour négocier au nom d'une "héroïque flexibilité".

ROHANI ET OBAMA SONT PRESSÉS

En second lieu, on a assisté à une accélération spectaculaire d'un processus de dialogue où tout est allé très vite et simultanément, alors qu'une progression graduelle était attendue.C'est en même temps que les contacts bilatéraux avec Washington se sont accélérés ( échanges de messages) qu'un dégel s'est produit avec les 5+1 et même à l'AIEA. Le catalyseur Rohani est donc spectaculaire mais nous contraint à nous demander quelles sont les véritables raisons de cette accélération. Elle résulte d'une conjonction inédite. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas le spectre d'une intervention israélienne - malgré la hantise de Netanyahu de ce qu'un compromis entre Téhéran et Washington ruinerait l'alibi israélien de la "menace existentielle". En réalité MM. Rohani et Obama estiment urgent de parvenir à un dégel. Téhéran ,malgré de longues dénégations, ne peut cacher que le pays est aux abois ; les caisses sont vides, le gouvernement n'est même pas certain de pouvoir verser les allocations générales. Barack Obama, lui, sait que s'il attend la fin de son mandat, le Congrès bloquera toute avancée. Les deux hommes sont pressés.

La France, avec retard, a perçu la nécessité de retrouver une place dans cette négociation, comme le montre la rencontre entre François Hollande et Hassan Rohani. Mais la clé du déblocage est largement entre les mains de MM. Obama et Rohani. Cela étant, il faut de toute urgence que la France adapte son dispositif diplomatique à Téhéran où notre ambassade a été vidée de ses effectifs (plus de mission commerciale). Les entreprises françaises sont attendues en Iran, alors que nos concurrents italiens, allemand et anglais font le siège des responsables économiques et politiques. Mais il y a pire : un grand groupe américain a lancé une vaste campagne de presse dans les médias iraniens sur le thème "Nous revenons !" et se prépare à prendre la place des Français chez leurs partenaires industriels. Les entreprises américaines ont anticipé ce dégel, on évoque l'ouverture d'une chambre de commerce irano-américaine. La stratégie de Washington est claire : purger le marché iranien de toute concurrence à l'aide des sanctions et pressions afin de pouvoir revenir en force après ce "nettoyage".

Une concurrence déloyale contre laquelle Francois Hollande doit réagir en demandant à Barack Obama de s'engager à ne pas sanctionner la France. Il faut faire vite, demain il sera trop tard. De plus, rétablir une mission économique et commerciale et appuyer nos entreprises est une priorité absolue pour lutter à armes égales.

Par Michel Makinsky, Chargé d'enseignement à l'Ecole supérieure de commerce et de management de Poitiers, collaborateur scientifique auprès de l'Université de Liège.

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