Islam bis: l’influence du catéchisme

Les lettres de lecteurs et autres articles l’ont montré à l’envi ces derniers temps: les raisons pour lesquelles l’interdiction des minarets l’a emporté en votation populaire sont multiples et souvent contradictoires. En amont de toutes ces raisons, l’influence à long terme des catéchismes dispensés jadis dans notre pays pourrait aussi avoir joué son rôle.

Quand les prêtres, pasteurs ou catéchètes actuels parlent à leurs catéchumènes des religions non chrétiennes et des problèmes qu’elles posent à la foi chrétienne, ils ne répètent probablement pas les enseignements de jadis. Mais ils ne peuvent éviter que certaines idées-forces issues des catéchismes d’hier ne se transmettent à leur insu d’une génération à l’autre et ne continuent de coloniser les esprits. C’est ce qui se produit quand, comme aujourd’hui, la fréquentation des catéchismes devient de plus en plus aléatoire.

Or justement, les catéchismes d’hier n’hésitaient pas, en général, à se montrer aussi clairs que péremptoires sur le chapitre des religions non chrétiennes. Selon eux, le Dieu des chrétiens était le seul «vrai», les dieux des autres religions ne pouvant être que faux. Le cas échéant, on accordait davantage de considération au Dieu des juifs, qui est celui de l’Ancien Testament, mais c’était pour dénoncer aussitôt le «légalisme» de leur religion. Quant au Dieu des musulmans, on le rejetait du côté des «paganismes», sans tenir aucun compte de tout ce que l’islam a de commun avec les traditions juives et chrétiennes. Dans le fond, les catéchismes d’antan donnaient à cet égard dans le même simplisme que d’aucuns reprochent maintenant aux musulmans quand ils incriminent leur dessein d’imposer l’islam à l’ensemble de la planète. De part et d’autre, la conviction de base est la même: la religion à laquelle on adhère étant réputée seule conforme à la volonté de Dieu, on ne peut que chercher à la faire prévaloir sur toutes les autres.

Vers la fin du XIXe siècle, des théologiens protestants ont cru pouvoir surfer sur les idées que suggéraient les théories de Darwin pour éviter de taxer trop sommairement les autres religions d’erreur ou de fausseté. A les entendre, l’histoire religieuse de l’humanité prise dans son ensemble serait caractérisée par une évolution allant des religions les plus primitives aux plus évoluées, pour aboutir au christianisme de Jésus – mais un Jésus tel que pouvaient le comprendre et l’interpréter les chrétiens occidentaux des temps «modernes». Ainsi Auguste Sabatier, très écouté à l’époque, pouvait-il écrire en 1897 qu’il voyait toutes les religions «monter lentement des vallées obscures, se rapprocher les unes des autres et tendre au christianisme comme à un autre Mont-Blanc, dernière et lumineuse cime». Les autres religions n’étaient donc plus dans l’erreur, mais dans des ténèbres auxquelles on se montrait finalement très satisfait de n’avoir pas réellement part. Une fois passé dans les catéchismes, cet évolutionnisme très condescendant (à ne pas confondre avec celui de Darwin) s’est lui aussi répandu dans les esprits. On lui doit très probablement une partie du refus et même de la peur envers un islam que l’on tient pour obscurantiste et rétrograde, mais sans le connaître vraiment et sans tenir compte des différentes tendances qui existent en son sein. Il serait à cet égard grand temps de s’intéresser au courant humaniste (ce n’est pas celui des frères Ramadan) qui commence à prendre de l’importance dans l’islam européen.

Cela dit, les représentants des principales Eglises suisses ont eu raison de ne pas reconduire les préjugés d’antan et de recommander fermement le rejet de l’initiative anti-minarets. Ont-ils pour autant désabsolutisé leur conception du christianisme au point de le considérer vraiment comme une religion parmi d’autres? Vues sous cet angle, certaines affirmations doctrinales des textes ecclésiastiques officiels demandent encore à être revues, par exemple du côté catholique à propos de l’Eglise présentée comme étant d’institution divine ou du côté protestant quand on a l’impression que Jésus, le Christ, se substitue à Dieu le Père. Mais une page, celle des christianismes exclusivistes, semble bien avoir été tournée et l’essentiel, dans l’immédiat, est une prise de conscience qu’on espère irréversible: dans notre Etat de droit et dans la situation pluraliste où nous nous trouvons, la concurrence entre religions ne saurait se régler à coups d’interdictions ou de restrictions plus ou moins tracassières imposées à celles dont on croit devoir redouter l’influence. Une religion, quand elle est vraie, n’a jamais d’autre moyen de conquérir vraiment les cœurs, les consciences et les intelligences que la qualité intrinsèque de son message et de la spiritualité qu’elle propose.

Bernard Reymond, professeur honoraire de théologie à l’Université de Lausanne.