Israël : le choix de la force

Par Théo Klein (LIBERATION, 24/07/06):

Le problème qui s'est posé au gouvernement d'Israël, au lendemain de l'enlèvement du caporal Shalit, était de choisir entre la voie politique et la voie militaire. La voie politique aurait, sans doute, tenu compte des fortes possibilités d'entente entre le président de l'Autorité palestinienne (Fatah), Abbas, et le chef du gouvernement (Hamas), Haniyeh, qui semblaient se dessiner fortement. Alors, l'action militaire aurait été différée en donnant le temps aux Palestiniens de libérer le caporal prisonnier. Une telle solution politique aurait sans aucun doute conduit à la libération de prisonniers palestiniens, mais on peut, par exemple, s'interroger sérieusement sur l'avantage ou l'inconvénient qu'il y aurait eu à libérer les prisonniers qui ont lancé, quelque temps auparavant, l'appel conjoint Fatah-Hamas, dont on sait qu'il a justement conduit au rapprochement entre le président de l'Autorité Fatah et le chef du gouvernement Hamas. L'action militaire n'a, à ce jour, pas abouti à la libération de Shalit, mais a conduit à des destructions d'infrastructures sur la pertinence desquelles on peut s'interroger, ainsi qu'à la mort de Palestiniens, mais aussi de soldats israéliens. Il est vrai que la pertinence d'une politique ne se mesure pas seulement à court terme, mais aussi à moyen et long termes. L'interrogation persiste.

En ce qui concerne le Hezbollah, l'affaire est différente. La volonté agressive du Hezbollah est évidente. Elle met en jeu le Liban en tant qu'Etat indépendant : l'ordre public, le respect des frontières internationales d'un Etat sont de la responsabilité de son gouvernement, en l'occurrence libanais, et la faiblesse des structures gouvernementales n'est pas dans ce cas un élément justificatif. Toutefois, cette faiblesse est connue et ne peut être négligée dans l'analyse de la situation et des modalités de réplique choisies.

L'attaque du Hezbollah était bien sûr, avant tout, dirigée contre Israël, et ce sont deux soldats israéliens qui ont été enlevés. On sait, par ailleurs, quel a été le sort des soldats israéliens tombés entre les mains du Hezbollah ou des Syriens.

Répondre par la force à cette agression du Hezbollah était parfaitement justifié pour le gouvernement israélien. On ne peut s'interroger que sur l'étendue utile de la réaction.

A cet égard, il faut prendre en considération la gravité particulière que les gouvernements et la population israélienne ont de tout temps attachée à la défense de chacun de leurs citoyens, civils ou militaires, juifs ou arabes. En ceci, le gouvernement israélien est l'héritier d'une tradition séculaire qui veut que chacun soit garant des autres.

C'est donc seulement sur la nature exclusivement militaire que l'interrogation porte. Devait-on écarter toute autre réaction, notamment diplomatique, pour tenir compte, par exemple, de l'hostilité d'une grande partie de la population libanaise à l'égard des activités du Hezbollah, comme, par ailleurs, du silence de la plupart des Etats arabes, qui se sont bien gardés de prendre position, lorsqu'ils n'ont pas carrément condamné le Hezbollah ?

En fait, les tirs de missiles du Hezbollah visant le territoire et les agglomérations israéliens semblent indiquer la forte préparation menée sur le territoire libanais, avec l'aide, très vraisemblablement, d'autres pays tels la Syrie et l'Iran ; préparation qui pouvait conduire dans l'avenir à des attaques beaucoup plus sévères et infiniment plus dangereuses, non pas pour l'avenir d'Israël, mais pour le sort de sa population, y compris, sans doute, les habitants de Tel-Aviv et de sa région, coeur économique du pays.

Il y a là une dimension du problème qui ne saurait échapper à l'attention et au jugement que chacun porte sur la situation actuelle. Il semble qu'Israël ait, peut-être, été mal renseigné sur ces préparatifs, et l'on ne peut exclure le fait que l'attaque inopinée du Hezbollah ait permis de découvrir à temps un danger potentiel important encore non identifié. La nature et la source de ce danger, située vraisemblablement dans des pays membres des institutions internationales, élargissent largement les interrogations auxquelles il est extrêmement difficile de répondre aujourd'hui.

En réalité, il me semble que le gouvernement israélien se doit de choisir entre deux stratégies : celle, longtemps pratiquée, de la riposte plus forte que l'attaque ou celle d'Yitzhak Rabin : «Je combats qui m'attaque et je négocie avec qui est prêt à cette négociation.» < A cet égard, Gaza et le Liban sont deux opérations totalement différentes. Ma conviction profonde est que Gaza doit être réglé directement entre Israéliens et Palestiniens, alors que l'affaire du Hezbollah, et donc aussi du Liban et des promoteurs qui se situent à son arrière-plan syro-iranien, doit indiscutablement conduire à une forte intervention internationale. Si celle-ci tarde, c'est, peut-être, disent certains, que les grandes puissances attendent des Israéliens qu'ils prennent seuls les risques du combat, se réservant d'apparaître, ensuite, comme les maîtres du jeu. Mais le jeu sera-t-il encore possible, alors que l'on tarde trop à mettre en cause les promoteurs cités ci-dessus ? Sans doute, ceux qui, à juste titre, défendent la pérennité et l'indépendance du Liban ont-ils trop tardé à mettre les autorités légales de ce pays en demeure et en mesure d'assumer la responsabilité de sa frontière avec Israël. Sans doute, dans sa réplique, Israël ne tient-il pas assez compte de ce que le Liban demeurera son voisin.