Israël-Palestine, le conflit qui rend fou

Réveillez-vous ! Aucune chance de voir surgir une solution au conflit israélo-palestinien dans les caniveaux de haine qui coulent le long de nos trottoirs. On n’aidera pas un Palestinien de Gaza en brûlant la boutique d’un juif de Sarcelles. S’insulter, se bagarrer entre Français juifs et Français musulmans ne sert ni Israël ni la Palestine. Cela renforce seulement l’antisémitisme et le racisme en France. Vous êtes en colère ? Moi aussi. Je ne sais si c’est pour les mêmes raisons. Vous avez choisi votre héros et c’est l’autre, celui qui est en face, qui vous fout en boule. Moi, c’est la paix que je choisis. Depuis plus de quarante ans, je travaille au rapprochement israélo-palestinien. Je ne me souviens plus de combien d’engagements j’ai été le témoin, sans pour autant qu’ils aient été tenus. En revanche, je pourrais faire le compte du nombre de vies qui auraient pu être épargnées. En colère je suis. Devant l’assassinat par les Palestiniens des trois jeunes Israéliens. Devant l’assassinat d’un jeune Palestinien par des Israéliens. Devant les roquettes palestiniennes qui tombent sur la population israélienne et devant les bombes israéliennes qui, en représailles, tombent sur la population palestinienne.

Il y a cinq ans, j’ai accompagné un Convoi pour la paix à Gaza. Deux imams, un rabbin et un curé étaient du voyage. Nous nous sommes arrêtés à Sdérot, ville où les enfants israéliens dorment depuis des années dans des abris. A cause, disent-ils, des bombes venues de Gaza. Une femme s’approche : «Mon mari a été tué par une roquette palestinienne. Venez lui rendre hommage.» A la tombée du jour, les imams, le curé et le rabbin ont dit la prière des morts.

Qui sont ces dirigeants qui ont réduit, chez leurs deux peuples, toute chance de paix, les laissant face à face, prêts à se massacrer ? «Venez parler», avons-nous dit un jour à Anouar el-Sadate, alors président de l’Egypte. Il est venu, il a parlé et a été assassiné par un Egyptien. «Parlez à votre ennemi», avons-nous dit à Yitzhak Rabin, alors Premier ministre d’Israël. Il a parlé, il a serré la main de son ennemi et a été assassiné par un Israélien. La paix serait-elle si dangereuse au Proche-Orient ? Serait-ce la raison pour laquelle les hommes politiques en ont si peur ? Quoi qu’il en soit, elle n’est visiblement pas concevable aux yeux de ceux qui manifestent, chez nous en France, à propos du conflit. Les slogans qu’ils arborent lors de ces mobilisations le prouvent. Non, aucun obus ne peut remplacer le verbe dont on dit qu’il fut au commencement de tout. Au Proche-Orient en particulier où chacun se réclame du Livre. Hélas, les dirigeants israéliens et palestiniens ne savent pas parler. Je veux dire parler à l’autre. Imaginez l’effet qu’aurait le discours d’un dirigeant israélien adressé au peuple palestinien et prononcé au moins en partie en arabe. Ou le discours d’un dirigeant palestinien adressé au peuple israélien et prononcé au moins en partie en hébreu. Je sais que savoir parler n’est pas donné à tout le monde.

Chez les Palestiniens, le mouvement pour la paix, créé un jour par Sari Nusseibeh, est mort-né. Chez les Israéliens, il ne rassemble que quelques dizaines de manifestants dans les rues de Tel-Aviv. Le fait que la paix ne mobilise pas les deux populations n’est pas le signe de l’indifférence mais celui de la fatigue. Convaincus de l’impossibilité de voir le conflit résolu par les intéressés eux-mêmes, certains, comme l’historien israélien Zeev Sternhell, prônent une intervention étrangère. Ne pas laisser deux fous seuls dans une même pièce est une démarche sensée, surenchérit l’écrivain israélien Amos Oz. Mais les précédents ne sont pas encourageants. N’y aurait-il pas une vision plus large à l’exemple de l’Union européenne, une issue pensée dans un cadre régional ? Il est urgent d’interrompre ce face à face, où chacun se voit dans l’autre comme dans un miroir terrifiant. Miroir qu’il aimerait briser tant l’image renvoyée est insupportable. Le général de Gaulle et le chancelier Adenauer l’ont bien compris en leur temps : deux convives en guerre depuis des décennies ne pouvaient se retrouver brusquement seuls à la même table. Il fallait qu’ils soient entourés pour commencer le repas. Aussi ai-je envie de revenir sur une proposition que nous étions quelques-uns à soumettre aux dirigeants du Proche-Orient à la fin de la guerre des Six Jours. L’idée d’une confédération ou du moins d’une association jordano-israélo-palestinienne, à l’image des premiers accords européens. Le rejet d’Israël, par certains Arabes palestiniens, a pour origine une conception exclusive de l’islam. Pour d’autres, il provient d’une crainte de voir naître un Etat palestinien croupion, sans ressources, coincé entre le royaume hachémite et l’Etat juif. En revanche, une confédération réintroduirait les Palestiniens, enfin indépendants, dans leur propre histoire, sans mettre en question l’indépendance de la Jordanie ni celle d’Israël, libéré, du poids de l’occupation. Un tel ensemble représenterait la meilleure des protections pour les Jordaniens et les Palestiniens, contre les visées des adeptes du grand califat. Je sais que cette idée n’enthousiasme pas l’Occident où l’immobilisme est la plus sûre des vertus. Mais existe-t-il de meilleures pistes pour la paix ?

Parler de la paix, quand les hommes meurent, quand seules les armes parlent, est une stupidité. Peut-être, mais on ne parle jamais autant de la santé que quand on est malade. Le prophète Jérémie, qui a vécu au VIe siècle avant notre ère, n’a cessé de critiquer le roi. Celui-ci le fit jeter par sa garde dans un puits. Les amis du Prophète accoururent, se penchèrent sur les rebords de la citerne et interrogèrent Jérémie : «Tu es vivant ?» «Oui !» répondit-il du fond du puits. «Que vois-tu ?» «Maintenant, répondit le Prophète, quand je lève la tête, je vois la lumière.» Essayons. Qui sait, peut-être nous aussi, en levant la tête, trouverons-nous de la lumière.

Marek Halter, ecrivain

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