Istanbul: un sommet humanitaire pour rien?

Médecins sans frontières (MSF) dans un de ses hôpitaux dévastés au mépris des accords internationaux. © AFP / NAJIM RAHIM
Médecins sans frontières (MSF) dans un de ses hôpitaux dévastés au mépris des accords internationaux. © AFP / NAJIM RAHIM

MSF ne participera donc pas au Sommet Humanitaire Mondial qui aura lieu à Istanbul du 23 au 24 mai. Et pour cause, il ne se passe pas de semaines sans qu’un de leurs hôpitaux ne soit bombardé en toute impunité au mépris des règles humanitaires les plus fondamentales. Par ailleurs, des populations entières continuent d’être massacrées en Syrie, au Yémen ou ailleurs, forçant les civils à fuir dans des conditions désespérées. Au-delà des inévitables belles paroles dont on va nous gaver, un sommet humanitaire mondial peut-il véritablement contribuer à changer la donne actuelle, à redistribuer les cartes en faveur des victimes? Peut-il amener les États concernés à respecter les règles auxquelles ils ont eux-mêmes souscrit? Peut-il améliorer l’aide humanitaire?

Les risques d’un tel sommet

En privé, rares sont les collègues au sein des Nations unies ou des ONG, qui ont exprimé un enthousiasme débordant, c’est le moins qu’on puisse dire, pour ce Sommet dont les objectifs demeurent certes louables. Sa préparation, par ailleurs fort onéreuse en organisation de conférences régionales et en honoraires de consultants, a permis l’implication de nombreux acteurs. Des documents ont été produits en abondance. Toutefois, les risques d’un tel exercice peuvent dépasser les bénéfices escomptés. La tentation de réinventer la roue en créant de nouvelles normes juridiques, de nouvelles structures et procédures bureaucratiques, encore plus étouffantes que celles déjà existantes, risque de masquer l’écrasante responsabilité des puissants acteurs étatiques impliqués dans les crises actuelles qui agissent au mépris du droit existant.

Les normes existent déjà

Les normes protégeant les victimes civiles et les travailleurs humanitaires en situation de conflit existent. Le défi consiste donc à faire respecter les règles existantes où les États sont à la fois juges et parties. Dans un tel contexte, il existe un danger réel que sous prétexte d’un aggiornamento de l’aide humanitaire à une soi-disant nouvelle réalité, le sommet n’accouche d’un catalogue de bonnes intentions et de mécanismes de suivi qui ouvriraient la porte à une relativisation des fondamentaux humanitaires. En clair, il faut surtout éviter une relecture des conventions existantes. L’hypothèse d’un tel scénario ne ferait que de les affaiblir davantage.

Un devoir d’introspection

Cette lourde responsabilité des États dans les lamentables crises humanitaires actuelles n’exonère toutefois pas les Nations unies et ses donateurs d’un sérieux devoir d’introspection. Sur ce plan-là, le sommet pourrait effectivement contribuer à améliorer l’architecture de l’aide humanitaire. La marge de progrès est énorme par rapport au système actuel. L’exigence légitime des donateurs à justifier chaque centime reçu s’est malheureusement traduite par une croissance exponentielle de procédures qui viennent ajouter de la coordination à la coordination, des coordinateurs aux coordinateurs, des rapports aux rapports, des réunions aux réunions. Il faut mettre fin à une telle logique. Une coordination bien comprise vise simplement à assurer une couverture optimale des besoins humanitaires, sans lacunes ni duplications.

Il faut faire cesser l’inflation administrative

Sans plus, ni moins. Point n’est besoin d’ajouter une couche supplémentaire de bureaucratie pour y parvenir. L’interventionnisme du secrétariat des Nations unies à New York sous couvert de coordination humanitaire peut également contribuer à politiser l’aide humanitaire en plaçant des arguties juridiques au-dessus de l’impératif humanitaire, comme je l’ai vécu dans le Donbass. (cf. article paru dans Le Temps du 9 novembre 2015).

Do no harm, ne fais point de mal. Il faut éviter que des bonnes intentions ne se retournent contre les victimes. Il est à espérer que les organisateurs et les participants au sommet garderont à l’esprit ce socle fondateur de l’action humanitaire.

Jean-Noël Wetterwald, ancien délégué HCR. Auteur «D’exils, d’espoirs et d’aventures» paru aux Éditions du Belvédère 2014.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *