Italie: le « oui » au référendum, un « oui » à la corruption

Le président du conseil italien Matteo Renzi prétend que sa réforme de la Constitution a deux mérites fondamentaux : d’une part, elle serait rationnelle, parce qu’elle élimine le doublon législatif entre Chambre des députés et Sénat, cause fondamentale, selon lui, de la lenteur législative, de la confusion, et en fin de compte, de l’impossibilité à affronter les problèmes de l’Italie ; d’autre part, elle serait procitoyenne et anti-nomenklatura, car elle réduit les coûts de la politique, ôtant ainsi des arguments à une démagogie populiste de plus en plus dangereuse.

Ces deux arguments sont faux et mensongers. Le Sénat n’en sera pas abrogé pour autant. Il sera désigné par des conseils régionaux et continuera à remplir des fonctions législatives, bien qu’en théorie plus limitées. Mais le nouvel article 70 qui dresse la liste de ces fonctions a été rédigé de façon tellement complexe et contradictoire que les plus grands juristes en ont déjà proposé cinq ou six interprétations, toutes incompatibles. Un ballet spectaculaire de recours pour chaque contestation est à prévoir, remontant à chaque fois jusqu’à la Cour constitutionnelle. Du coup, le processus législatif, loin de s’en voir accéléré ni rendu plus efficace, risque la paralysie.

Nomenklatura

En revanche, les présidents, les conseillers des régions ou les maires qui seront nommés sénateurs se voient offrir en présent l’immunité parlementaire pour tout ce qui touche aux arrestations, perquisitions, écoutes téléphoniques, etc. Un cadeau en or pour cette nomenklatura, étant donné la croissance exponentielle du taux de corruption (et de condamnations), aussi bien dans les régions que dans les grandes agglomérations, ces dernières années.

Quant aux économies, elles seront dérisoires (57,7 millions d’euros par an, d’après une source du Bureau de la comptabilité de l’Etat). Il aurait été plus avantageux de tailler dans les retraites des anciens parlementaires ou les salaires de ceux qui sont en exercice. S’agissant du coût de la politique, le plus scandaleux est de toute façon la prolifération par dizaines de milliers de conseillers inutiles dans les établissements publics (les plus petites communes ont les leurs), les myriades de consultants politiques, le mille-feuille administratif injustifié : bref, les millions de personnes qui vivent de la politique, et grassement, au nom de mérites qui ont fort peu à voir avec la méritocratie. Une nomenklatura que Matteo Renzi s’emploie pourtant à consolider.

Proto-totalitarisme

Sa contre-réforme – donnons-lui son vrai nom – modifie 47 articles sur 139. Elle représente de facto un changement de Constitution dans un sens nettement oligarchique. D’une part, elle octroie un pouvoir démesuré à l’exécutif. D’autre part, elle abroge tout mécanisme de contrôle : magistrature, autorité de tutelles, instances garantissant l’autonomie de la culture, etc.

En effet, avec la nouvelle loi électorale, si cette contre-réforme passe, ce sera le parti majoritaire qui désignera un président de la République à son image, la Cour constitutionnelle, les conseils supérieurs ­ – comme le Conseil supérieur de la magistrature dont dépendent toutes les nominations des parquets et des tribunaux et toutes les autres institutions de garantie –, et exercera son emprise sans entrave sur le patrimoine culturel et environnemental italien, le transformant en « ressources économiques ».

Aujourd’hui, les trois principales forces politiques italiennes (Renzi, Grillo, Berlusconi/Salvini) bénéficient du soutien de 25 à 30 % des électeurs. Elles rassemblent moins d’un tiers des voix. Or, comme le taux de participation ne s’élève plus qu’à 60 %, ce tiers ne représente qu’un peu plus du quart des citoyens. Le leader issu des élections, quel qu’il soit, et pour de nombreuses générations, recevra pourtant des pouvoirs que toute la tradition libérale-démocrate a toujours considérés comme proto-totalitaires…

Le non, synonyme d’immobilisme

Matteo Renzi martèle que le vote en faveur du non est synonyme d’immobilisme. Mais le vrai conservatisme, c’est sa contre-réforme, conçue sur mesure pour renforcer, enraciner, constitutionnaliser un système oligarchique qui, en Italie, combine l’affairisme politique et la corruption avec des appuis mafieux de plus en plus pesants (selon la Banque d’Italie, en 2008, l’« économie souterraine » constituait 31,1 % de l’économie globale, dont 12,6 % liés aux activités criminelles). Depuis que Matteo Renzi est au gouvernement, ces sphères ont eu la vie encore plus facile.

En Italie, le véritable combat réformiste et progressiste a toujours été l’applicationde la Constitution de 1946, malgré les oppositions de gouvernements successifs gênés par la tonalité fortement égalitaire et sociale d’un texte né de la Résistance.

En réalité, la contre-réforme de Renzi n’est qu’une version de celle proposée, il y a dix ans, par Berlusconi. En pire. Certes Berlusconi se déclare pour le non (rivalité entre oligarchies oblige !). En revanche, ses télévisions sont toutes en ordre de bataille pour le oui. Malgré les contradictions qui traversent le camp du oui comme celui du non, le non regroupe les millions d’Italiens – la « société civile » – qui se sont mobilisés depuis vingt-cinq ans, souvent en de gigantesques manifestations, pour une politique de « justice et liberté », contre le régime de connivence en forme d’alternance systématique entre Berlusconi et le PD [Parti démocrate].

Electoralement, ces forces ne sont représentées que par le Mouvement 5 étoiles [M5S] de Beppe Grillo. Malgré les ambiguïtés de ce mouvement, on ne saurait l’assimiler aux populismes droitiers qui ébranlent le monde, contrairement aux dires de Renzi à la télévision, cherchant à effrayer la droite modérée et à conquérir ses voix. Grillo a rappelé que sans le M5S, la protestation anti-establishment aurait eu en Italie son Aube dorée et autres lepénismes… Voilà pourquoi la victoire du oui signifierait la perpétuation de l’establishment. La victoire du non aurait, elle, pour conséquence le retour de l’espérance, aussi ardue qu’elle soit.

Paolo Flores d'Arcais, philosophe. Il dirige la revue de gauche « MicroMega ». Son dernier livre est « La guerra del Sacro -terrorismo, laicîta e democrazia radicale » (« La guerre du sacré - terrorisme, laïcité et démocratie radicale), Raffaelo Cortina Editore, Milano, 2016. Traduit de l’italien par Raia Del Vecchio.

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