Je voudrais vivre dans une Pologne démocratique

Moi, Lech Walesa, à qui les Polonais, l’histoire et la providence ont offert le privilège de prendre part aux événements qui ont changé le destin de notre patrie, en ce centième anniversaire de notre indépendance recouvrée, je m’incline devant les fondateurs de la Deuxième République : Jozef Pilsudski, Roman Dmowski, Ignacy Daszynski, Ignacy Paderewski, Wincenty Witos et Wojciech Korfanty. Je m’incline devant tous les citoyens et citoyennes, quelles que soient leurs origines nationales ou confessions et qui – à l’heure de la plus grande épreuve, celle de penser que « la Pologne est à nous » – ont su s’unir pour le bien de leur Etat.

Pendant ces cent dernières années, nous avons dû par trois fois reconstruire la Pologne comme un Etat. Pendant un demi-siècle, nous n’avons pas été un Etat libre. Il nous a été échu de voir comme il est facile de perdre son indépendance. Il suffit de quelques hommes politiques irresponsables au moment décisif. Ma génération a eu la chance de se trouver au bon endroit au bon moment. Nous avons fait ce qu’il convenait de faire. A cette époque, la solidarité voulait dire : « Aide-nous, ami, parce que tout seul nous n’y arriverons pas, c’est trop lourd. » Ce fardeau que nous voulions soulever, c’était notre patrie.

Dix millions de personnes se sont réunies à nos côtés. Le mouvement Solidarité fait partie de l’histoire universelle, fort de ses valeurs et de sa détermination. C’est grâce à l’éthique de Solidarité que nous avons réussi sans violence à recouvrer notre liberté et à transformer le système politique. Nous avons construit un Etat de droit. D’autres pays se sont emparés de notre idéal d’une révolution sans bain de sang. L’ordre du monde s’en est trouvé transformé.

« Je présente mes excuses aux Polonais »

Et pourtant notre transformation ne s’est pas faite sans victimes. Nous avons commis des erreurs. Malgré les efforts extraordinaires de Jacek Kuron, nous n’avons pas su mettre en œuvre tout le potentiel social et solidaire du système que nous avions créé. Mais nous avons réalisé le rêve de bien des générations antérieures, celui d’une patrie vivant dans la liberté et dans la sécurité.

Nous avons saisi la chance historique de faire entrer la Pologne dans l’OTAN et dans l’Union européenne. Des hommes du calibre de Karol Wojtyla, Tadeusz Mazowiecki, Bronislaw Geremek, Zbigniew Brzezinski, Jan Nowak-Jezioranski ou Wladyslaw Bartoszewski étaient convaincus, comme je l’étais moi-même, qu’en rejoignant le plus puissant des pactes militaires et la plus moderne des unions d’Etats à l’échelle internationale nous allions une fois pour toutes ancrer la Pologne dans la civilisation occidentale.

Nous n’imaginions pas alors avec quelle force destructrice la soif de pouvoir et les complexes seraient capables de détourner les aspirations des Polonais. Qu’un pouvoir démocratiquement élu puisse, au nom de ses objectifs à courte vue, œuvrer à l’isolement, à l’affaiblissement et au désarmement de la Pologne. Et ce, en un temps de tensions internationales croissantes. Or, à l’est de chez nous, il y a l’Est. C’est sa place. Il attend de voir ce que nous allons faire de notre liberté.

Pour renforcer un Etat, il faut construire des institutions et des procédures. Année après année, élection après élection, génération après génération. Nous sommes impatients, parce qu’historiquement nous avons perdu du temps. Comme pendant la IIe République, une fois encore pendant la IIIe, après une génération formée dans le système démocratique, c’est le réflexe d’aller chercher des raccourcis qui a triomphé. Moi aussi j’y ai cédé. Pour cela, je présente mes excuses aux Polonais.

C’est pourquoi je sais que toute tentative de se soustraire aux procédures est une menace pour la démocratie. Les coûts dépassent toujours les bénéfices allégués. Il aurait fallu analyser quelles étaient les intentions réelles et les ambitions cachées de ceux qui voulaient accélérer. Nous n’aurions pas aujourd’hui à payer un prix si élevé.

Défiance mutuelle

Maintenant les faits sont gommés de la politique et de l’histoire. La notion de parlementarisme est discréditée. La Constitution est méthodiquement violée, l’Etat de droit est déconstruit. Or l’Etat de droit est le garant de la liberté de chacun d’entre nous. Le saccage en cours – qui se fait appeler le « bon changement » – détruit l’Etat, ses institutions et ses procédures. Il fait du mensonge un instrument d’exercice du pouvoir. Il renforce la défiance mutuelle. Il trie les citoyens en diverses catégories.

Quand nous aurons gagné les élections, nous devrons réparer notre Etat, reconstruire beaucoup de ses institutions en partant de rien. Malheureusement, pour réparer les dommages causés à la société, nous aurons besoin de plus de temps que ce pouvoir actuel n’en a eu.

Je voudrais vivre dans une Pologne gouvernée par des démocrates conscients, ambitieux, bien formés. Par des Européens. La transformation sans retour du monde tel que nous le connaissons, la démographie, les changements climatiques, la croissance des inégalités, le développement des nouvelles technologies, les usages de l’intelligence artificielle, voilà les problèmes auxquels il faut s’attaquer ! Et cela à l’échelle du globe !

Nous sommes à la veille de changements fondamentaux. Les efforts de chacun d’entre nous sont nécessaires pour bien les comprendre. Ensemble, nous avons le potentiel d’inventer des solutions pour le monde entier. C’est dans l’action que nous nous reconnaîtrons comme une communauté.

Lech Walesa, ancien président du mouvement Solidarnosc, ancien président de la Pologne.

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