Jihad en Syrie : le temps du retour

Depuis trois ans, la guerre en Syrie a attiré des milliers de volontaires étrangers, venus combattre l’armée de Bachar al-Assad. Leur nombre est estimé à 12 000, originaires essentiellement du monde arabe mais pas uniquement : on compterait plus de 2 000 Occidentaux dont environ 700 Français. Le phénomène des filières jihadistes n’est pas nouveau. On se souvient de l’Irak, de la Tchétchénie ou encore de la Bosnie. L’ampleur du jihad syrien rappelle toutefois un autre précédent, celui de l’Afghanistan des années 80, lorsque des milliers de combattants avaient afflué pour faire face à l’occupant soviétique.

Après le départ de l’Armée rouge d’Afghanistan, en 1989, les moudjahidin ont crié victoire et les combattants étrangers ont peu à peu quitté le pays, exportant le jihad dans d’autres régions du monde. En 1993, le Département d’Etat américain a produit une note classifiée intitulée «Les moudjahidin errants : armés et dangereux». Cette note mettait l’accent sur le potentiel de déstabilisation de ces individus aguerris, revenant en nombre dans des pays déjà en proie à de fortes tensions, à l’instar de l’Algérie. Elle insistait aussi sur la velléité de certains combattants de s’en prendre à l’Occident, perçu comme tout aussi impie que l’Union soviétique.

La génération des «Afghans» a marqué l’univers du jihad. Voici venu le temps des «Syriens». Le jihad en Syrie continue d’attirer de nouveaux volontaires. On observe concomitamment une accélération des retours. Ce phénomène est dû à l’accroissement des rivalités fratricides entre jihadistes. Ces rivalités ont éclaté au grand jour, en 2013, et se sont brutalement accentuées au cours des derniers mois. L’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) reproche à Front al-Nusra - un groupe adoubé par le chef d’Al-Qaeda, Ayman al-Zawahiri - son laxisme dans l’application de la charia et son attitude trop conciliante à l’égard des chiites. Au-delà de ces explications se cache une lutte de pouvoir entre Zawahiri - qui ne dispose pas de la même aura que son prédécesseur Oussama ben Laden - et l’émir de l’EIIL, Abu Bakr al-Baghdadi. Dernier épisode en date : en mai, le porte-parole de l’EIIL a demandé à Zawahiri d’annoncer la dissolution de Front al-Nusra et d’ordonner, à ses membres, de prêter allégeance à Abu Bakr al-Baghdadi.

Les affrontements interjihadistes suscitent trois types de réactions chez les volontaires étrangers : certains obéissent aux ordres et participent aux combats fratricides ; d’autres se retirent temporairement dans des pays frontaliers en attendant une meilleure conjoncture ; d’autres, enfin, choisissent de rentrer dans leur pays d’origine. Le retour de ces jihadistes aguerris est d’autant plus dangereux que, considérés comme des lâches voire des traîtres par leurs anciens frères d’armes, ils peuvent être tentés de passer à l’acte pour redorer leur blason.

Toutefois, leur retour précipité et non planifié n’est pas nécessairement annonciateur de grandes catastrophes : pris de court, ils n’ont probablement pas eu le temps de préparer des attentats sophistiqués et pourraient se limiter à des tentatives d’attaques plus rudimentaires. Autrement dit, un nouveau 11 Septembre n’est pas pour demain. Les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone ont nécessité des mois de préparation et une organisation minutieuse. Al-Qaeda bénéficiait alors d’un sanctuaire en Afghanistan, où des centaines de terroristes ont été formés.

Le 11 Septembre a constitué une surprise stratégique pour les Etats-Unis et leurs alliés, qui ont, depuis, focalisé leur attention sur la mouvance jihadiste. Les traces laissées par la préparation d’un méga-attentat ne manqueraient pas d’alerter les services compétents, d’autant que les systèmes de surveillance ont beaucoup évolué depuis 2001. Bien plus probables à court terme - et plus difficiles à empêcher - sont les attaques simples, «à la Merah», provenant de microcellules terroristes, voire d’individus isolés.

A plus long terme, les menaces provenant de Syrie ou d’autres terres de jihad pourraient prendre des formes plus élaborées. La patience fait partie des valeurs cardinales de la mouvance jihadiste. A preuve, les attentats du 11 septembre 2001 ont eu lieu plus de dix ans après le retrait soviétique d’Afghanistan. Les Occidentaux aimeraient pouvoir oublier la tragédie syrienne, mais elle continuera de produire ses effets négatifs pendant des années : la tuerie de Bruxelles n’est probablement qu’un prélude.

Marc Hecker, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri)

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