Jusqu’à quand distribuera-t-on des subventions à une agriculture aux conséquences sanitaires et environnementales coûteuses ?

L’injustice est flagrante. Le modèle agricole dominant, qui repose sur la mécanisation et la chimie de synthèse, pollue et détruit les sols, ne crée pas d’emplois et endette les agriculteurs. C’est le modèle que nous subventionnons. Le modèle paysan de l’agriculture biologique, lui, crée 2,5 fois plus d’emplois, protège nos sols, l’air, l’eau et la biodiversité, produit une nourriture nutritive et saine, pourtant il est surtaxé.

Car l’agriculture « bio » paye pour tout le monde. D’abord en production. Victime de l’empoisonnement de la planète, elle doit empêcher les contaminations de polluants des champs qui l’entourent, une lutte de tous les instants. Pour se protéger du vent ou du ruissellement des eaux de surface, les agriculteurs bio plantent des haies ou s’isolent par des bandes de terres en jachère. Ne serait-ce pas à ceux qui polluent de protéger leurs voisins ? Et s’il y a contamination par des traces de produits chimiques, alors les productions sont déclassées, perdent la certification, sont vendues au prix du conventionnel.

Pour prouver la non-contamination, l’agriculteur « bio » doit payer les contrôles (huit en moyenne). Les autres n’ont rien à justifier, aucun contrôle. Et en fin de course, c’est la double peine pour les consommateurs « bio » : ils payent leurs produits plus chers et financent par leurs impôts la dépollution pour réparer les méfaits d’une agriculture conventionnelle qu’ils ne cautionnent pas.

Modèle intenable

Sans subventions, l’agriculture conventionnelle serait morte. Ce modèle fonctionne uniquement grâce aux aides publiques. Il prétend que lui seul peut nourrir la planète en oubliant qu’il est sous perfusion. Sans cela, ce modèle est mathématiquement intenable. Les prix bas du conventionnel ne sont possibles que grâce aux aides. C’est 9 à 12 milliards d’euros en France, soit 17 500 euros perçus par ferme par an.

Beaucoup de corps de métier aimeraient percevoir autant ! 150 % du revenu de ces agriculteurs provient de subventions… Mais elles ne concernent que le conventionnel : les subventions européennes se calculent à la surface, c’est donc une prime aux grandes exploitations.

Or la « bio » privilégie la valeur ajoutée plutôt que la taille et le volume. Il y a également des aides aux investissements « industriels ». Mais les fermes bio misent plus sur l’investissement humain que sur l’investissement machine. Ainsi, en France, 20 % des agriculteurs touchent 80 % des aides. Que la ferme crée ou non des emplois, qu’elle ait ou non un impact environnemental, cela ne compte pas.

Maladies et perte de fertilité des terres

Jusqu’à quand pourra-t-on se payer ce luxe de distribuer des subventions à une agriculture aux conséquences sanitaires et environnementales coûteuses. Nos impôts financent les soins des maladies professionnelles des agriculteurs (cancers, leucémies…) et des maladies liées à notre alimentation devenue malbouffe (hypertension, carences, obésité…), mais aussi la dépollution de l‘eau, des sols… Et l’on stocke les factures pour les générations futures : nos enfants payeront la perte de fertilité des terres, des services rendus gracieusement par les abeilles et les vers de terre, de toute la vie du sol qui fait la richesse nutritive… Tout cela n’est pas intégré dans le prix de revient du conventionnel.

Telle une fierté nationale, cette agriculture industrielle est exportée. Elle casse la dynamique de production locale en Afrique et ailleurs parce que, par l’effet des subventions, nos produits alimentaires arrivent moins chers que la production locale. Le conventionnel chimique productiviste est une agriculture dominatrice, prédatrice ; elle veut s’imposer partout et finit par tuer toute autre forme d’agriculture.

Dire que le « bio » est plus cher est totalement faux. Le « bio » est à son juste prix, car il n’y a ni coûts cachés ni aides. Et il serait plus accessible aux consommateurs s’il ne supportait pas tous les dommages causés par le conventionnel. Jusqu’à quand allons-nous soutenir une agriculture destructrice alors qu’il est urgent de développer une bio économie à la hauteur des enjeux et des espoirs, avec au cœur une agriculture saine, écologique, sociale ?

Par Claude Gruffat, président de Biocoop. Il est l’auteur de « Les dessous de l’alimentation bio » (Editions La Mer Salée).

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