L’écologie non productive, c’est quoi ?

Présentant la fondation que je suis entrain de créer avec pour titre Ecologie productive, un journaliste s’est interrogé. Qu’est ce que l’écologie non-productive ? Il m’incombait donc d’éclairer sa lanterne.

L’écologie productive est la démarche qui consiste à résoudre les problèmes écologiques en créant de nouveaux emplois et de nouvelles richesses. C’est ce que l’on appelle parfois la croissance verte, concept que j’ai contribué à définir et à développer depuis vingt ans (dans mes livres Economiser la planète, Fayard, 1990 et Ecologie des villes, écologie des champs, Fayard, 1993). Cette démarche s’oppose radicalement à la vision, hélas très répandue, qui a vu le jour dans les années 1970 avec le fameux rapport du Club de Rome «Halte à la croissance» et qui s’est prolongée plus récemment avec les concepts de décroissance et de frugalité prospective, qui constituent la base du livre de Nicolas Hulot le Pacte écologique aussi bien que le programme des Verts.

A une écologie dénonciatrice et punitive, qui ne voit l’écologie que comme l’annonce de catastrophes, la multiplication de taxes, des interdictions diverses et, l’arrêt du progrès, («le progrès pose problème», écrit Hulot), nous souhaitons substituer une écologie de la création, de l’invention, du dépassement, de la réparation qui débouche sur la croissance économique en même temps que l’établissement d’une certaine harmonie entre l’homme et la nature mais dans laquelle l’homme n’est jamais sacrifié aux exigences écologiques.

Prenons trois exemples pour illustrer cette démarche. L’énergie nucléaire est à l’évidence une source d’énergie essentielle à notre développement futur et l’on ne dénoncera jamais assez les dommages créés à l’Europe par les verts allemands en interdisant à ce pays cette source d’énergie ! Mais peut-on, d’un autre côté, ignorer qu’avec la technologie actuelle nous produisons des déchets potentiellement dangereux et que les réserves d’uranium ne dépassent pas un siècle ? La solution ce n’est pas l’abandon du nucléaire, c’est de développer la technologie dite de «quatrième génération» qui utilisera 97 % de l’uranium multipliant les réserves par 100 et qui détruira les déchets à vie longue rendant cette filière plus sûre.

Second exemple, les pesticides, insecticides et engrais. Il est exact que le développement excessif de la «chimie agricole» a conduit à créer des problèmes de pollution alimentaire pour les humains, les animaux domestiques mais aussi les animaux sauvages. La décroissance des populations d’oiseaux, des rivières trouve sans aucun doute sa source dans la pollution. Faire semblant de l’ignorer n’est pas responsable pas plus qu’accuser les agriculteurs et leur interdire les moyens de continuer a être compétitifs sur un marché désormais international de plus en plus sévère. La solution, c’est de développer les plantes génétiquement modifiées qui permettront d’éviter les pesticides, les insecticides, en partie les engrais et qui permettront de minimiser les besoins en eaux ou les contraintes de salinité. L’avenir de l’agriculture est là ! Troisième exemple, le contrôle du gaz carbonique. Laissons de côté la question des prévisions climatiques car elle sera réglée par les faits d’observations à condition de ne pas les masquer (pourquoi cache-t-on ces jours-ci le fait que la banquise arctique s’est reconstituée cet hiver comme elle était il y a douze ans ?) Faut-il le faire en organisant de grandes conférences internationales, fixer des quotas théoriques et palabrer sous la houlette dispendieuse de l’ONU ?

Kyoto a été l’exemple de cette attitude incantatoire autant qu’inefficace : dix ans après, les émissions de CO2 ont augmenté de 50 % ! Et Copenhague s’annonce comme devant être du même tabac ! Croit-on qu’avec un tintamarre diplomatique ou médiatique l’Inde et la Chine vont abandonner leur développement fondé sur le charbon ?

La solution, n’est-elle pas dans l’innovation ? Ne faut-il pas d’abord développer les technologies de capture et de stockage du CO2, les voitures électriques, hybrides ou à hydrogène et les technologies alternatives pour le chauffage comme le photovoltaïque, la géothermie et l’isolement ? Mais là encore en étant conscient des problèmes sachant par exemple que dans l’état actuel des choses les réserves mondiales d’indium, métal indispensable à la technologie photovoltaïque, sont inférieures à dix ans !

Après avoir organisé le premier colloque socialiste sur l’écologie en 1986, après avoir, avec Hubert Curien, convaincu François Mitterrand de présider le premier colloque sur ce sujet organisé à l’Elysée en 1989 pour promouvoir cette écologie dynamique, au cours duquel avait été développée l’idée de la création d’un grand ministère de l’écologie force est de constater qu’on en est toujours au stade de la palabre écologique et des débats stériles sans incidence véritable sur l’emploi et la croissance.

L’opposition entre deux visions différentes de l’écologie marque un clivage fondamental à l’égard de la société et de l’homme. La vision positive et humaniste que je défends est celle d’une société de liberté, de libre entreprise et de progrès constant, pas de celle d’une réglementation pesante et d’un Etat omniprésent décidant à la place du citoyen. C’est surtout celle d’une vision optimiste de l’homme qui sait s’adapter à son environnement constamment changeant, et dont le ressort du progrès est dans l’innovation et l’optimisme et non la punition et la peur. Je ne veux pas comme le dit Marcel Gauchet que «l’amour de la nature dissimule la haine des hommes».

Et tant pis si ce n’est pas à la mode, si je me réclame de la philosophie des Lumières et si, comme Luc Ferry, je refuse le Nouvel Ordre écologique.

Claude Allegre, ancien Minister of Education of France.