L’euro et le déficit d’Europe

Cette fois, nous y sommes. C’est au tour de l’Europe ou plus précisément de la zone euro de se trouver dans l’œil du cyclone financier. Il y a deux ans, c’étaient les banques et les assurances anglo-saxonnes qui étaient les premières visées. Aujourd’hui, l’ampleur des déficits publics et le poids des dettes souveraines font de l’euro la cible privilégiée. Au cœur de la crise, l’Europe est devenue le maillon faible de l’économie internationale, avec sa croissance asthénique et ses finances délabrées. Les ennemis historiques de l’euro jubilent, les souverainistes paradent et les déclinistes triomphent. Ils ont grand tort, car les pays qui ont refusé l’euro, comme la Grande-Bretagne, se trouvent en situation encore pire. Reste que les vacillements de l’euro appellent, exigent même, des choix enfin radicaux et cohérents. L’adoption bienvenue du plan européen de sauvetage financier fournit le répit nécessaire. C’est maintenant qu’il faut opter entre l’intégration et la désintégration, entre une coordination économique effective des seize pays de l’euro et le déclin programmé de l’Europe. Ou bien les gouvernements renoncent à leur double jeu habituel - européens à Bruxelles, souverainistes chez eux - ou bien l’euro s’enlisera, voire se défera. L’Europe doit choisir entre avancer ou s’affaisser.

Les souverainistes agitent l’hypothèse d’une sortie de l’euro en bon ordre. C’est une solution à la fois chimérique et défaitiste : chimérique, parce qu’un éclatement de l’euro ne pourrait se faire que dans le chaos et la spéculation ; défaitiste, car aucun pays européen, pas même l’Allemagne, n’a désormais le poids minimum pour peser sur les affaires d’une planète mondialisée où l’on n’entend que les Etats-continents. L’Europe sans l’euro, c’est la fin de toute influence européenne. Ou les Européens s’unissent et comptent ou ils se marginalisent. Par-dessus le marché, pour tout pays qui abandonnerait l’euro, les conséquences sont d’ores et déjà écrites : forte dévaluation, fuite éperdue des capitaux et des investisseurs, défaut de paiement de tous ceux qui sont endettés, institutions publiques, acteurs financiers ou personnes privées puisque leur dette augmenterait sur le champ en proportion de la dévaluation. La fin de l’euro, la sortie de l’euro laisserait un champ de ruines.

Le renforcement de l’euro ne peut en revanche se faire qu’avec des disciplines supplémentaires et une solidarité économique largement accrue. C’est, depuis le départ, l’absurdité de la situation de l’euro : une monnaie unique avec une fiscalité disparate, des budgets contradictoires, des politiques économiques hétéroclites. Jacques Delors l’avait souligné dès la naissance de l’euro et la France a toujours bataillé pour le principe d’un gouvernement économique dont l’Allemagne ne voulait pas entendre parler. Il y avait, de part et d’autre du Rhin, une bonne dose d’hypocrisie puisque la France appelait de ses vœux une discipline qu’elle enfreignait lourdement et que l’Allemagne refusait un engagement seul capable d’imposer la rigueur qu’elle voulait étendre. Désormais, ces vieilles postures stériles ne sont plus tenables. Berlin accepte une coordination économique, Paris accepte la rigueur qu’elle se refuse à nommer. Après la crise de 2008, chaque pays membre de l’euro a réagi à sa façon, c’est-à-dire dans le désordre général. En 2010, la réplique ne peut être que collective.

Encore faut-il ne pas se laisser ralentir par des tabous archaïques et pervers. L’harmonisation de la fiscalité ne se réalisera, à terme, que si les politiques budgétaires convergent d’abord sur des bases sérieuses. Pour la monnaie unique, tout commence avec les déficits publics et les dettes souveraines. La coordination économique débute par la coordination budgétaire. C’est d’ailleurs ce que s’époumonent à souligner depuis des mois les autorités européennes et, depuis des semaines, le couple franco-allemand. C’était la logique implicite du Pacte de stabilité et de croissance, cela devient la logique nécessaire de la défense de l’euro. Les déficits budgétaires, les endettements publics doivent tendre vers des objectifs communs. Cela implique un calendrier précis et des critères rigoureux, car les marchés sont prêts à sanctionner toute faiblesse.

Dès lors, la querelle du contrôle a priori des grandes masses budgétaires nationales par Bruxelles paraît bien marginale et bien formaliste par rapport aux enjeux. Les budgets demeureront l’affaire des Etats et de leurs parlements. Que les avant-projets soient examinés à Bruxelles par la Commission pour vérifier qu’ils correspondent bien aux engagements n’a rien d’humiliant ni même de vraiment nouveau. Les Etats de l’euro envoient déjà des engagements triennaux contrôlés chaque année. La seule différence, de taille mais souhaitable, est qu’ils devront désormais être respectés. La solidarité européenne ne peut plus se construire sur des mensonges.

Alain Duhamel