L’Iran ou les mystères de la percée de Genève

Comment le comprendre ? Comment expliquer que les Iraniens aient soudainement arrondi les angles avec les grandes puissances, alors même qu’ils se montraient intraitables depuis tant d’années et venaient juste de faire monter les enchères avant ces discussions de jeudi ?

La réponse divise chacune des capitales occidentales car il y eut bel et bien percée à Genève, une percée qui ne garantit rien en elle-même mais dont l’ampleur est aussi inattendue qu’apparemment prometteuse. Ce n’est pas seulement que, pour la première fois depuis trente ans, ces discussions ont permis un contact bilatéral direct entre diplomates américain et iranien, qu’elles reprendront avant la fin de ce mois et que l’Iran s’est engagé à ouvrir d’ici là - ce sera le 25 octobre - son site nucléaire secret de Qom aux inspecteurs de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) dont le directeur vient d’être reçu à Téhéran.

C’est, surtout, que les Iraniens ont accepté, de confier à la Russie l’enrichissement de leurs stocks d’uranium, de «la majeure partie» d’entre eux, précise un responsable américain. Comme on le dit à Washington, «l’étape est importante», puisque cet uranium, enrichi à moins de 5 % par l’Iran, ne le serait évidemment pas par les Russes au niveau permettant un usage militaire mais uniquement civil, qu’il devrait être, ensuite, conditionné en France et ne pourrait ainsi plus être utilisé à la fabrication de bombes.

Cela s’appelle une «mesure de confiance». Elle est capitale mais, si rien n’est encore résolu, c’est que tout dépendra de la bonne foi que les Iraniens mettront à l’appliquer. Pour que les craintes suscitées par leur programme nucléaire soient réellement apaisées, il faudrait qu’ils confient à la Russie puis à la France une part si importante de leurs stocks que cela les mette, pour longtemps, dans l’incapacité de poursuivre leur marche vers la bombe.

C’est une question de kilos. Il faudrait, pour que cela soit le cas, qu’ils en confient 1 200 kilos aux Russes sur les 1 600 kilos dont ils disposent à ce jour mais, outre qu’aucun engagement chiffré n’a encore été pris, seul l’abandon complet de ses opérations d’enrichissement pourrait garantir que l’Iran renonce définitivement à ses ambitions nucléaires.

On n’y est pas, pas du tout, mais des pas importants ont été faits, «dans la bonne direction», estiment à l’unisson Français et Allemands. «La porte s’est ouverte», dit Hillary Clinton mais, question donc, pourquoi ?

Depuis jeudi, trois écoles s’affrontent. Nombreux, voire majoritaires, les plus sceptiques ne voient qu’une manœuvre dans ces concessions de la République islamique, qu’un moyen de gagner du temps en donnant l’illusion d’ouvrir des négociations qu’elle n’aurait aucune intention de faire aboutir.

Leur argument est simple, mais pas négligeable. L’Iran veut la bombe, disent-ils. Il la voulait dès les temps du chah parce que ce pays chiite et perse, l’une des trois seules puissances de la région, avec Israël et la Turquie, à n’être ni sunnite ni arabe, veut renouer avec une grandeur passée et refaire pencher la balance de l’histoire en sa faveur. Il la veut d’autant plus, ajoutent-ils, que son régime se sent plus que jamais menacé depuis les manifestations de juin et qu’il espère retrouver un prestige intérieur et s’offrir une assurance vie extérieure en se dotant de l’arme nucléaire.

Sans obligatoirement rejeter cette analyse, d’autres considèrent que les concessions de Genève marquent, au moins, une hésitation nouvelle qu’ils expliquent, à la fois, par les difficultés politiques auxquelles se heurte la théocratie depuis juin et par le fait, surtout, qu’elle ne peut plus tabler sur la division du Conseil de sécurité depuis le rapprochement entre les Etats-Unis et la Russie. Ce régime ne peut plus prendre le risque, dit cette deuxième école, d’ajouter à ses incertitudes politiques les difficultés économiques supplémentaires que créeraient de nouvelles sanctions internationales.

Les plus optimistes, enfin, sont ceux qui ont toujours pensé que la République islamique voulait seulement s’approcher du seuil nucléaire pour pouvoir, ensuite, négocier sa pérennité en position de force. Ceux-là estiment que les Iraniens ont maintenant compris qu’ils pouvaient parvenir à un compromis régional avec les Etats-Unis de Barack Obama, devenir un partenaire privilégié de Washington, et que c’est cette carte qu’ils joueraient désormais.

Cela fait deux hypothèses encourageantes sur trois. La proportion est bonne et, même si le président iranien Mahmoud Ahmadinejad ne cherche qu’à gagner du temps, cela veut dire qu’un rapport de force le lui impose.

Bernard Guetta, membre du conseil de surveillance de Libération.