L’ONU et la gouvernance mondiale

Chaque année, le président de l’Assemblée générale de l’ONU a le privilège de proposer un thème de réflexion aux chefs d’Etat et de gouvernement qui participent au débat général. Pour le 23 septembre prochain, Joseph Deiss, le nouveau président, a retenu un sujet qui est sur toutes les lèvres et qui vient à point nommé: «réaffirmer le rôle central des Nations unies dans la gouvernance mondiale». Les propos des illustres orateurs donneront une indication sur la volonté des Etats membres de rendre aux Nations unies la direction du système, qui semble leur échapper.

On pourra classer les augustes points de vue en trois catégories: d’abord, ceux qui estiment qu’en effet, l’ONU est la seule organisation légale de la communauté ­internationale et que toutes les réunions qui se déroulent en dehors de son enceinte sont illégitimes. Pour ceux-là, l’action du G20, par exemple, serait même contraire au droit international. Cette thèse extrême ne devrait rassembler qu’une petite minorité.

Ensuite, il y a ceux pour lesquels il convient de rechercher une articulation entre l’ONU et les institutions qui se développent en dehors d’elle: quelle passerelle jeter entre ces organismes – G8, G20, etc. – et l’organisation de Manhattan? Faut-il associer l’ONU à tous les travaux qui traitent d’aspects de la mondialisation? Suffira-t-il alors d’échanger des informations, ou de faire bénir par le Conseil de sécurité les résultats de ces conférences, dans une résolution qui leur donnerait le sceau des Nations unies? C’est une attitude modérée et bien-pensante qui plaira aux Nations unies, sans compromettre la démarche de ceux qui préfèrent agir à l’extérieur.

Enfin, il y a une troisième voie, celle de la coexistence entre l’ONU et sa famille, «conçues pour rendre service dans un monde différent et à une autre époque», et des institutions nouvelles, performantes et adaptées aux situations auxquelles elles sont confrontées.

Récemment, Hillary Clinton, secrétaire d’Etat américaine, a défini la position américaine dans ce débat. Son adjoint, James Steinberg, l’a répétée à Genève le 11 septembre dernier. Il serait surprenant que le président des Etats-Unis adopte un autre langage à l’Assemblée générale où il s’exprimera jeudi prochain.

Pour répondre aux défis évolutifs qui nous sont jetés, dit Hillary Clinton, nous avons besoin d’institutions souples, qui englobent tous les acteurs, et qui soient complémentaires au lieu de rivaliser ­entre elles pour des questions de compétences.

L’ONU, ajoute-t-elle, demeure l’institution mondiale la plus importante. Et de citer le secteur de la paix et de la sécurité internationales, l’aide humanitaire, ou la promotion des droits des femmes qui vient de donner lieu à la création d’un nouvel organisme, ONU-Femmes.

En même temps, les limites de l’ONU sont patentes. Elle relève qu’il est difficile d’obtenir un consensus des 192 Etats membres sur la question des réformes institutionnelles, et notamment celle du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis veulent avant tout favoriser les mesures qui accroissent l’efficacité et l’efficience de l’organisation et améliorent ses capacités opérationnelles. Les prestations de service sur le terrain doivent être plus rapides, le personnel adéquat, bien formé et bien équipé. La réforme administrative doit aboutir à éliminer le gaspillage, les fraudes et les abus.

L’ONU n’a pas été créée, toujours selon Hillary Clinton, pour relever tous les défis qui se présentent et elle ne doit pas tomber dans ce travers. C’est pourquoi les Etats-Unis coopèrent avec d’autres organisations: le G20 a été rehaussé au niveau des chefs d’Etat pour répondre à la crise économique mondiale, les Etats-Unis ont convoqué eux-mêmes le premier sommet sur la sécurité nucléaire et, pour la question du changement climatique, on se réunit aussi bien dans le cadre de l’ONU que dans des groupes ad hoc, par exemple le Forum des principales économies, qui sont aussi celles qui produisent la plus grande quantité de gaz carbonique. Quand les travaux de l’ONU étaient dans l’impasse, lors du sommet de Copenhague, ce sont les présidents des grands Etats – Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud – qui ont trouvé une solution, même imparfaite et, avec le concours d’autres pays, ont ainsi évité l’échec de la conférence.

Beaucoup reste à faire dans la substance mais il ne sert à rien de vouloir bâtir des institutions pour le XXIe siècle si la démocratie, les droits de l’homme et la règle de droit n’en sont pas le ciment. Ces principes sont aujourd’hui menacés.

L’esquisse de cette troisième voie touche Genève de près: James Steinberg, qui a rencontré les chefs des principales agences de l’ONU à Genève et de l’OMC, ne s’est guère montré impressionné par cette «soupe alphabétique d’acronymes, dont les activités se recoupent, parfois inefficientes et dépassées et qui agissent en vertu de mandats vieux parfois d’un demi-siècle». Mais on ne saurait mettre ces agences de côté, ce serait le pire remède. Il faut poursuivre l’effort de réforme.

Derrière le thème choisi par Joseph Deiss, c’est toute la question de l’avenir du multilatéralisme et du cadre de la coopération internationale qui est en jeu.

François Nordmann, diplomate suisse.