La Banque mondiale à l’épreuve des droits de l’homme

Créée à Bretton Woods en 1944, la Banque mondiale reste la première institution de développement au monde. En accordant des prêts à des pays à faible et à moyen revenu pour quelque 65 milliards de dollars (59,65 milliards d’euros) par an, la Banque vise à encourager la croissance économique et à réduire la pauvreté.

Mais la Banque a souvent été accusée d’aggraver le sort des populations locales en négligeant les aspects sociaux et environnementaux de ses projets d’investissement. Un exemple est souvent cité : entre 1981 et 1983, la Banque a accordé cinq prêts de 457 millions de dollars pour la construction de 1 500 kilomètres de route au Brésil. Ce projet « Polonoroeste » a conduit à un afflux massif de colons en pleine forêt amazonienne, à une déforestation intensive, et de graves conflits sociaux avec les communautés autochtones.

Politiques de sauvegarde

En réaction aux critiques, la Banque met alors en place dans les années 1980 des politiques dites de « sauvegarde » pour que ses projets de développement ne portent pas préjudice aux populations et à l’environnement.

Aujourd’hui, si un gouvernement veut emprunter de l’argent à la Banque, il doit prendre en compte une série de règles sur l’impact du projet en matière de nuisances ou de protection des communautés autochtones. Un gouvernement ne peut plus, par exemple, sous prétexte de vouloir construire une centrale électrique, expulser des familles sans les consulter au préalable et sans leur offrir des moyens de subsistance le cas échéant.

Mais la Banque mondiale et ses emprunteurs ont souvent failli à leurs engagements.

Récemment, des ONG ont rapporté des cas d’évictions forcées en Ethiopie, au Kenya, ou en Malaisie. Des communautés indigènes au Népal ont accusé la Banque de financer la construction de routes qui couperaient à travers leurs sites historiques.

De plus, ces règles, aujourd’hui vieilles de 30 ans, sont entachées de lacunes en termes de lutte contre le changement climatique, de protection des personnes handicapées, ou encore d’égalité hommes-femmes. La Banque a donc entrepris de les mettre à jour. Du 25 au 27 janvier, la Banque mondiale a tenu à Bruxelles la dernière phase de consultation sur son nouveau Cadre environnemental et social avec des agences onusiennes, d’autres banques de développement, des ONG, et des académiques.

Aucune obligation contraignante

Malgré des améliorations quant à la sécurité des travailleurs et à la protection des peuples autochtones, il reste une faille majeure. En effet, l’avant-projet n’impose aucune obligation contraignante à la Banque ou à ses pays emprunteurs de respecter les droits de l’homme tels que la liberté d’opinion ou le droit à un logement convenable.

L’énoncé de vision suggère de façon très vague que la réalisation des droits de l’homme représente une « aspiration » de la Banque. L’obstination de la Banque dans son rejet à faire des droits de l’homme l’élément opérationnel de ses politiques de sauvegarde suscite l’incompréhension de la société civile, du monde académique et même de rapporteurs spéciaux de l’ONU.

Cette position est intenable pour deux raisons. D’un point de vue économique, le lien entre développement et respect des droits de l’homme est aujourd’hui évident. Comme l’a enseigné Amartya Sen, prix Nobel d’économie, le développement inclut d’autres dimensions que la richesse mesurée en termes de revenus. Le développement humain, c’est avant tout la liberté d’un individu de recourir à la justice, de se nourrir, de prier, d’avoir accès à la santé, à l’éducation, à la culture.

D’ailleurs, la plupart des projets de la Banque, que ce soit via la construction d’un hôpital en Afrique ou d’une école en Asie, contribuent déjà implicitement à la réalisation des droits économiques et sociaux. En intégrant cette fois-ci les droits de l’homme de manière explicite dans ses missions, la Banque s’attaquerait aux sources profondes de la pauvreté et permettrait à chacun d’accroître ses libertés réelles.

Isolement

D’un point de vue juridique, les 188 états membres de la Banque mondiale ont tous déjà au moins souscrit à un traité relatif aux droits de l’homme. Et ces obligations ne s’évaporent évidemment pas lorsque ces mêmes états décident d’agir à travers la Banque. Plus fondamentalement, en tant qu’agence spécialisée de l’ONU, la Banque se doit de respecter la Charte de l’ONU et le droit international.

Puis, la Banque s’isole d’autres organisations internationales comme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou l’Organisation internationale du travail (OIT) qui ont déjà reconnu l’importance des droits humains dans leur travail. Evidemment, la Banque n’a pas de mandat, comme un tribunal, pour sanctionner les « mauvais élèves ».

Mais à l’heure où la Banque entend s’adapter aux défis du XXIe siècle en adaptant ses lignes de conduite environnementales et sociales, elle ne peut plus négliger de s’assurer que ses projets respectent et promeuvent les droits de l’homme.

Samuel Cogolati (Chercheur en droit, KU Leuven, Belgique)

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