La bataille pour l'emploi s'engage en Tunisie

"Vous savez, on a trop attendu que les choses aillent mieux. On nous a trop menti, on nous a trop humiliés. On comprend que tout ne va pas être résolu en un mois, mais on veut que ça change. On veut être sûrs qu'on n'est plus en train de nous mentir !" Depuis ma nomination, j'ai rencontré des centaines de demandeurs d'emploi, entendu des milliers de phrases aussi fortes, résolues et sensées que celle d'Ouissem, que vous venez de lire.

Or le double devoir de vérité et de dignité m'interdit de faire de vaines promesses ou d'adopter des mesures de court terme, mesures miracles qui n'en auraient que l'apparence. Nous sommes riches d'une jeunesse volontaire, curieuse et éduquée, qui n'attendait que la liberté et l'égalité des chances pour s'exprimer. Notre pays dispose de nombreux atouts pour que recule progressivement et durablement le chômage. Cela doit être une grande cause nationale, qui engage chacun d'entre nous, qui nous rassemble, sans défiance ni illusions de courte vue.

Nous venons de nous libérer d'un régime qui s'est attaché à brider les initiatives du plus grand nombre, à confisquer les ressources, les bénéfices et les projets, à faire régner l'arbitraire jusqu'à l'attribution d'un emploi, à jeter le soupçon sur celui qui créait un emploi ! Le martyre de Mohammed Bouazizi, acculé au désespoir alors qu'il ne demandait qu'à vivre de son travail, est symbolique de cette violence d'Etat qui doit appartenir au passé : notre jeunesse doit non seulement être libre de ses initiatives économiques mais également y être encouragée et aidée.

Mais la liberté est un chemin, y compris dans la tête, le coeur et les comportements de chacun. Et le temps qu'elle y prenne place, nous devons faire face aux urgences de la situation comme à l'impatience légitime de nombre de nos concitoyens. Le gouvernement de transition a une mission limitée dans le temps : préparer les élections et gérer ses urgences sans compromettre l'avenir. Vérité et dignité nous commandent de dire ce que nous ferons, ce que nous disons, sans céder à la facilité de mesures irréalistes.

Agir pour tous, et agir vite ! Dans l'immédiat, cette mission va s'articuler autour de quatre grands axes :

- l'aide aux demandeurs d'emploi sera renforcée, notamment à travers le projet "AMAL", qui met en place une véritable recherche active d'emploi, et propose à 50 000 jeunes une activité de transition, une formation et un accompagnement vers l'obtention d'un emploi durable ;

- le soutien des entreprises sera consolidé, afin qu'elles puissent traverser la période cruciale de transition sans être amenée à supprimer des emplois et être, le plus rapidement possible, libre d'en créer de nouveaux ;

- le développement de nouveaux emplois sera initié. Ils seront accessibles aux différents niveaux de qualification, des plus modestes aux plus élevés, accessibles également dans toutes les régions de la Tunisie ;

- la création d'entreprise sera simplifiée, afin que tous ceux qui ont un projet puissent rapidement l'accomplir et lancer leur activité. Ayons à l'esprit le cas d'Imed, jeune diplômé, qui, faute d'un apport personnel suffisant, dut renoncer à créer une dizaine d'emplois : plus jamais ça !

Comme en témoignent ces choix politiques, nous assumons notre conviction qu'on ne s'attaque pas au chômage sans jeter les bases de la croissance. En créant artificiellement des emplois publics sous la pression de l'urgence, nous serions irresponsables, nous promettrions à la Tunisie de demain une situation plus critique encore. Les économistes nous disent qu'il faut un à deux ans pour relancer la croissance. Le meilleur moment pour soutenir la croissance, c'était donc il y a deux ans. Mais le deuxième meilleur moment, c'est tout de suite !

Pour autant, l'Etat prend sa part de ce renouveau. Outre les 14 000 postes dans la fonction publique et la création du statut de stagiaire de la fonction publique qui va permettre à 10 000 diplômés du supérieur en situation d'exclusion de se préparer à intégrer la fonction publique en 2012, nous lançons de nombreux projets. Nous allons lancer des ouvrages de travaux publics. Nous allons également initier d'autres projets, à l'image de la numérisation du patrimoine de la Bibliothèque nationale, un projet mené avec le ministère de la culture et le secrétariat d'Etat aux technologies de la communication qui va permettre de créer plus de 1 000 emplois, notamment à haute qualification, et de fournir de l'activité à des dizaines de PME.

Nous ne devons pas rester prisonniers des illusions passées, qui associaient fatalisme et promesses vaines d'un Etat qui veut tout contrôler. Nulle part dans le monde on n'a vu un gouvernement construire l'avenir en créant 300 000 emplois d'un trait de plume ou d'une annonce à la télévision.

La liberté est un chemin, vous ai-je dit plus tôt, il en est de même de la confiance. Nous avons trop longtemps subi le joug de la peur, de la suspicion et de leur corollaire le plus insidieux : la défiance. On a ainsi opposé les régions, les moins qualifiés aux plus diplômés, le secteur public au secteur privé. On a divisé pour mieux régner, on a blâmé ou réprimé les initiatives qui n'avaient pas la bénédiction d'une minorité puissante. Entretenir ou développer ces réflexes, cette société de défiance où rien de durable ne peut pousser, ce serait rendre hommage bien peu mérité au pouvoir d'hier !

La confiance est le moteur de toute société libre. C'est quand elles auront confiance et quand elles seront convaincues de cette confiance retrouvée par la Tunisie que nos entreprises convaincront à leur tour les investisseurs de croire en leurs projets. C'est quand on a confiance en l'avenir qu'on crée des emplois durables. C'est quand on a confiance qu'on choisit de renforcer ses connaissances et sa formation, qu'on s'investit, individuellement et pour le bien de la collectivité, dans sa carrière. Mais rien de tout cela ne pourra être réussi sans une large mobilisation : l'emploi, c'est désormais l'affaire de tous.

Saïd Aïdi, ministre tunisien de la formation professionnelle et de l'emploi.

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