La BCE a achevé les années post-crise avec de nouvelles prérogatives

Les mandats de plusieurs membres du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), qui ne comprend que six personnes, prennent fin en 2019 : après les départs du vice-président, Vitor Constâncio, en 2018, et du chef économiste, Peter Praet, le 31 mai, le président, Mario Draghi, quitte ses fonctions le 31 octobre et le responsable des opérations de marché, Benoît Cœuré, fait de même le 31 décembre. A ceux-ci s’ajoute celui – imprévu – de Sabine Lautenschläger, qui a démissionné et quittera son poste le même jour que Mario Draghi. C’est donc une grande partie de l’équipe qui a vécu la crise de la zone euro et ses suites qui quitte l’institution.

Il est manifeste que la BCE a radicalement changé durant leurs mandats. On peut mesurer l’ampleur de cette métamorphose en comparant ce que Mario Draghi disait en 2011 et l’état dans lequel il laisse l’institution en 2019.

En juillet 2011, il expliquait qu’il n’existait plus de marges de manœuvre pour les politiques expansionnistes, qu’il s’agisse de la politique budgé­taire ou de la politique monétaire. Pourtant, il va partir après que la BCE a effectué 2 600 milliards d’euros d’achats de titres, dix baisses de taux directeurs et plusieurs opérations de refinancement des banques à long terme, ainsi qu’après avoir lancé ce qui est probablement la politique de taux négatifs la plus puissante de l’histoire. Il aura mis la BCE sur les rails de taux possiblement encore plus négatifs, et après avoir déclenché une opération de « quantitative easing forever », c’est-à-dire une opération d’achats d’actifs dont la fin n’est pas programmée. Il appelle aussi les gouvernements à en faire davantage, et à ce que la politique budgétaire vienne compléter la politique monétaire.

Politique monétaire contestée

Pourtant, le lancement de mesures très accommodantes par la BCE s’est fait avec beaucoup de retard par rapport aux autres grandes banques centrales : l’Eurosystème n’a effectué aucun achat d’obligations souveraines entre février 2012 et mars 2015, période au cours de laquelle la Réserve fédérale américaine lançait le QE3 et la Banque du Japon la politique « Abenomics » (politique musclée d’achats d’actifs, du nom du premier ministre, Shinzo Abe). Ce retard est notamment provenu des réticences de l’Allemagne et de la Bundesbank. C’est seulement quelque temps après la crise de la zone euro (sept trimestres consécutifs de croissance négative, du troisième trimestre 2011 au premier trimestre 2013) et après une très forte augmentation du taux de chômage que la BCE s’est lancée dans une opération massive d’achats d’actifs. Le risque de déflation était désormais présent dans l’esprit de beaucoup de banquiers centraux et d’observateurs. Une fois lancé, le programme d’achats d’actifs de la BCE a été très puissant et a eu un fort impact sur les marchés obligataires.

Toutefois, malgré un arsenal de mesures non conventionnelles, l’inflation est restée relativement basse en zone euro, ce qui fait douter de l’efficacité des politiques menées. Il y a certes lieu de penser que l’inflation aurait été encore plus basse si la BCE ne les avait pas suivies. Des études contrefactuelles menées par la BCE et la Banque de France en ont fourni des estimations. Quant aux opérations de refinancement de long terme (LTRO et TLTRO), des études montrent qu’elles auraient eu un effet positif sur l’octroi de crédit aux entreprises non financières ; elles figureront sans doute durablement dans la boîte à outils de la BCE.

La politique monétaire est aujourd’hui plus contestée que jamais, qu’il s’agisse de l’efficacité des mesures mises en œuvre, des effets néfastes des politiques expansionnistes ou encore des faibles marges de manœuvre dont disposent désormais les banques centrales pour intervenir. Les dissensions au sein du Conseil des gouverneurs, très fortes au début du mandat de Mario Draghi avant de s’apaiser pendant un temps, semblent refaire surface aujourd’hui. Par ailleurs, la BCE a achevé ces années post-crise avec de nouvelles prérogatives, qui continueront à évoluer, notamment parce qu’elle devra de plus en plus tenir compte des grands défis du XXIe siècle, que ce soit la lutte contre le changement climatique ou celle contre les inégalités. C’est autant de défis qui attendent la nouvelle équipe en train de se former autour de Christine Lagarde, la nouvelle présidente de l’institution.

Laetitia Baldeschi, Juliette Cohen et Bastien Drut sont membres de l’équipe « Etudes et stratégie » chez CPR Asset Management et auteurs de Comment les années Draghi ont changé la Banque centrale européenne (Bréal, 140 pages, 11,90 euros)

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