La burqa : signe manifestement sectaire?

La mission parlementaire sur le port de la burqa et du voile intégral arrive au terme de sa réflexion et le doute persiste encore sur la décision à prendre afin d’apporter la solution la plus adéquate au problème que leur port pose dans l’espace public. Que faire ? Si l’interdiction semble être, a priori, la solution du bon sens, plusieurs arguments viennent la contrarier. Stigmatisation de l’islam et risque d’inconstitutionnalité sont les deux idées qui plaident en faveur de la précaution. Compréhensibles, ces points de vue sont-ils satisfaisants ?

Il est parfaitement vain de prétendre vouloir donner un signe fort contre les pratiques fondamentalistes et de s’abstenir quand il faut agir. Les défenseurs de la thèse de la prudence, non contents de dénoncer le déficit démocratique de l’interdiction, en tirent comme conséquence le risque de stigmatisation de l’islam qui souffre déjà d’un rejet généré par la peur liée à la méconnaissance de ses préceptes de bases. Cette justification pêche par sa généralité. Elle continue à traiter l’islam comme une religion monolithique et les musulmans comme une entité formant une communauté de réaction et d’agissement identique. D’une part, il n’y a point un islam. Cette religion, aussi bien dans sa pratique que dans son organisation, s’est toujours conjuguée au pluriel. D’autre part, cette nouvelle posture du «musulman», mû par un réflexe pavlovien à défendre sa religion dès qu’on touche un de ses préceptes, ne semble point coller au réel. La majorité des musulmans pensent même que non seulement ces habits ne relèvent pas de leur religion, mais surtout que cette pratique est fondée sur une interprétation théologique contestable et une vue de l’islam et de son histoire singulièrement cavalières. Et si les représentants de l’islam officiel en France, qui se sont fréquemment associés à ces mouvements intégristes dont ils reconnaissent les déviations tout en craignant de se faire déborder par eux, militent pour la non-interdiction, ce n’est pas une raison valable pour généraliser cette position à toutes les personnes de confession et de culture musulmanes.

Plutôt que de chercher à recenser les diverses options qui ne heurteraient pas ces mouvances, osons l’interdiction. On y verra un acte politique fort conduisant à des mutations de formes et de sens. Il se pourrait d’ailleurs que les chemins de la modernisation de l’islam aujourd’hui croisent cette courageuse option. En ce qui concerne l’argument juridique, l’obstacle est sérieux et le malaise est réel. Dans un Etat de droit, il est toujours très inconfortable de légitimer l’immixtion de la norme juridique dans l’espace privé et intime des citoyens. En effet, une telle démarche réduit grandement l’espace où s’exercent les libertés individuelles et transforme des individus libres en des êtres sous contrôle (étatique). C’est pourquoi, une interdiction normative du port de la burqa et du voile intégral dans l’espace public peut s’apparenter à une volonté politico-juridique de violer l’exercice d’un ensemble de droits subjectifs reconnus comme fondamentaux par la Constitution et protégés par le Conseil constitutionnel. Et ce malaise va en grandissant lorsque ce débat (sur le port du voile intégral et de la burqa) se trouve, par une forte attractivité médiatique, annexé à celui portant sur l’identité nationale. Comment alors peut-on ne pas voir dans une loi d’interdiction un texte de circonstance et d’opportunité dirigé spécifiquement contre une composante de la société accusée par les promoteurs de l’autre débat d’être les pollueurs de l’identité nationale ? Ajoutons enfin en faveur de cet argumentaire que, depuis plusieurs années, le législateur a cessé d’adopter des grandes lois de régulation globale de la société pour produire désormais des textes comportementalistes et subjectifs. Une législation sur la burqa ne peut, dans ce contexte, que renforcer cette tendance juridiquement critiquable.

Toutefois, cette vision avec laquelle nous pouvons être d’accord sur certains points, n’envisage qu’une partie du problème. Elle est restreinte à la première strate de l’enjeu et feint d’ignorer la dimension prospective d’une norme prohibitive. L’argument juridique en faveur de cette option peut alors se présenter comme un processus discursif, qui se structurera autour d’une solution simple. De l’avis de tous les experts qui ont été auditionnés par la commission, ces femmes portant la burqa obéissent à une idéologie que prône un courant fondamentaliste musulman dont le mode de fonctionnement et le modèle d’organisation s’apparentent à une secte. Enfermement social, rupture avec l’environnement d’origine et emprise physique et mentale sont les critères qui caractérisent ces pratiques. L’adepte cesse alors d’être lui-même sa propre fin pour devenir un moyen au profit d’une fin qui lui est supérieure : cette fin, c’est le groupe auquel il appartient et dont le rôle premier est de propager les idées.

Aucune discussion n’est concevable avec le monde extérieur, dont le point de vue est nécessairement dangereux. Pétris de leur conviction, assurés de détenir la vérité, les membres d’une secte se considèrent toujours comme infaillibles et en viennent même à se croire en perpétuelle guerre d’abord contre eux-mêmes et ensuite contre les autres. Ils doivent donc imposer par tous les moyens leur mode vie et surtout leur mode de raisonnement au reste de la société. Que nous disent ces adeptes qui sont enrôlées dans cette mouvance fondamentaliste : qu’elles ont opté pour ce mode de vie (habillement, rituel, comportement…) par libre choix et par conviction religieuse. Point de contrainte ni d’emprise. Sans recul et comme hypnotisées, elles insistent sur le bonheur retrouvé grâce à cet habit. Cette «lune de miel sectaire», on la retrouve dans le discours des victimes enrôlées dans des mouvements reconnus légalement comme sectes. Pourquoi l’interdiction de porter ce signe manifestement sectaire ne pourrait-il alors prendre sa source normative dans l’arsenal législatif applicable aux sectes ? Une telle option a l’avantage de la rapidité et de l’efficacité dès lors que le corpus normatif applicable en la matière est déjà rodé.

On peut même pour le rendre plus efficace l’enrichir par un texte réglementaire qui porterait spécifiquement sur le port de «signes ostensibles et manifestement sectaires» qui troublent l’ordre public. Ainsi on comprend quel service pourrait rendre à la République «l’Etat-législateur» quand il intervient pour faire prévaloir l’Universel au détriment du relativisme culturel.

Jamil Sayah, enseigne le droit public à l’université Pierre-Mendès-France à Grenoble.