La campagne électorale italienne envahie par les populismes

Les élections législatives italiennes des 24 et 25 février pourraient marquer l'entrée du pays dans sa "troisième république". La première, dominée par la démocratie chrétienne, s'est écroulée en 1992, dans un climat crépusculaire mêlant affaires de corruption, comptes publics hors contrôle, attaques spéculatives contre la lire italienne, écroulement des partis traditionnels et gouvernements techniques chargés (déjà !) de sauver le pays. Puis la deuxième république, dominée par la figure de Silvio Berlusconi, ayant polarisé la vie politique du pays, et facilité la naissance d'un bipolarisme à l'italienne.

Deux décennies plus tard, c'est un pays exsangue qui se présente aux urnes et qui rappelle l'Italie de 1994. Une fois encore, des scandales de corruption impliquant divers partis politiques éclatent.

Un gouvernement technique, présidé par Mario Monti, a été appelé à la rescousse pour éviter au pays l'humiliation de l'aide internationale et le débarquement des men in black de la troïka européenne. La cure d'austérité imposée par Monti (plus de 100 milliards d'euros entre augmentation d'impôts et réduction des dépenses), a eu comme effet collatéral une violente récession, le PIB connaissant une contraction de 2,4 % pour l'année 2012. Le chômage augmente (il est passé de 7,3 % en 2009 à 11,1 % aujourd'hui) avec une explosion de celui des jeunes (37 %). Les classes moyennes s'appauvrissent, la colère s'amplifie.

Le pays possède pourtant de nombreux atouts : un secteur industriel performant notamment au Nord, des comptes publics assainis malgré la récession et le boulet de la dette, avec une avance primaire plus importante que celle de l'Allemagne, une reprise des exportations. Mais l'opinion publique broie du noir. Plus que tout, alors que les italiens ont accepté sans broncher les mesures d'austérité nécessaires, ils n'observent aucune évolution notable du fonctionnement de l'Union européenne, ce qui semble leur promettre encore de longues années d'austérité et de croissance zéro.

Dans ce contexte, les élections des 24 et 25 février marqueront la fin de la courte parenthèse bipolaire en Italie. L'offre politique se multiplie, avec, outre les classiques coalitions de centre-gauche (emmenée par Pierluigi Bersani, le leader du Parti démocrate) et de centre-droit (guidée par l'inoxydable Berlusconi), la naissance d'un rassemblement centriste guidé par Mario Monti, d'un parti radical de gauche (la Révolution civique d'Antonio Ingroia), et d'un mouvement anti- système, le Mouvement 5 Etoiles de l'humoriste Beppe Grillo, qui veux en découdre avec l'euro et la classe politique actuelle.

Les sondages, qui peuvent s'avérer trompeurs et évoluent au gré de la campagne, indiquent aujourd'hui que Berlusconi devrait perdre ces élections et sortir de la scène. Un gouvernement Bersani devrait voir le jour, malgré une victoire amputée par une loi électorale pour le moins baroque, et qui nécessiterait l'appui décisif de Mario Monti et de ses troupes (crédités de 10 % à 15 % dans les sondages). Un scénario rassurant pour les capitales européennes et les marchés financiers. Bersani était ministre du gouvernement Prodi, ayant démontré du sérieux dans la gestion de l'Etat et des finances publiques.

DEUX POPULISMES ENVAHISSENT LA CAMPAGNE ÉLECTORALE

Mais rien ne permet d'être sûr d'une victoire de Bersani, deux populismes envahissant la campagne électorale. D'une part Berlusconi progresse rapidement dans les sondages : avec l'énergie de celui qui lutte pour survivre, il arpente les plateaux télés, multiplie les promesses, courtise ouvertement les fraudeurs fiscaux (un fléau à 120 milliards pour le pays). Avec une stratégie d'alliance intelligente et une campagne ciblée sur les régions qui décideront des résultats du scrutin, il a diminué de moitié l'écart avec le centre-gauche.

Autre surprise aux accents démagogues, le Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo mène une campagne à la fois traditionnelle (il est le seul à arpenter les places des grandes villes du pays dans cette campagne hivernale) et novatrice (il utilise Internet comme Berlusconi a utilisé la télévision pour sa fortune politique), et joue sur la rage des Italiens. Une rage sourde, liée à l'appauvrissement du pays, et une haine dirigée vers une classe politique corrompue, responsable dans l'imaginaire collectif d'avoir plombé l'économie d'un des pays les plus riches du monde. Quelle que soit l'issue du scrutin, le grand gagnant devrait être le vote protestataire.

Les Italiens avaient dès 1994 élu Berlusconi sur ses promesses de rupture à l'égard de la politique traditionnelle. Trahie, une partie de l'électorat reporte sa frustration contre l'euro, et contre l'Allemagne de Merkel, accusée de profiter de la crise pour renforcer son pays et affaiblir les autres.

Les partis préconisant l'abandon de l'euro ou le non-respect des règles européennes devraient totaliser plus de 50 % des votes. Même si Bersani remporte ces élections, lui qui se refuse aux promesses et ne goûte que peu à la communication, au terme d'une campagne d'un niveau rarement atteint quant à la faiblesse des arguments développés, des mensonges éhontés utilisés, l'Italie est un pays profondément blessé, dont une partie de l'opinion publique devient ouvertement eurosceptique.

Deux décennies après, l'histoire se répète. Les Italiens, dégoûtés par la corruption de leurs élites, déprimés par la conjoncture économique, n'éliront peut-être pas, comme en 1994, un nouveau, ou de nouveau, M. Berlusconi, mais risquent, au mieux, de donner à Bersani une majorité étriquée et hétérogène, allant de la gauche radicale au post-fascistes de Gianfranco Fini.

Fabio Liberti, directeur de recherche à l'IRIS

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