La Catalogne en Espagne, ou l’art du vivre-ensemble en démocratie

Le 27 février dernier, Le Temps a publié un article de M. Artur Mas intitulé «Nous, Catalans, voulons voter et devenir Européens à part entière». Cet article nous surprend, moi et la communauté européenne qui réside en Suisse. L’européanisme de la Catalogne n’a jamais été remis en question, de même que personne ne questionnerait l’européanisme de l’Espagne.

Comme la vice-présidente de la Commission européenne, Mme Viviane Reding, l’a récemment dit au cours de sa visite en Espagne, demeurer unis, c’est aller dans le sens de la tendance européenne, et le contraire serait «une perte de temps et d’énergie». L’Union européenne, depuis ses débuts, se construit dans une vocation inclusive, destinée à favoriser l’entente entre les peuples unis non seulement par la géographie, mais aussi par un patrimoine culturel et historique commun. Cette vocation se reflète clairement dans tous les traités constitutifs et dans leurs multiples élargissements, dont le dernier en 2013, ainsi que dans le respect de la diversité des peuples et des régions qui l’intègrent. Par conséquent, la sécession, la séparation, l’usage de la différence et de l’identité comme valeurs d’exclusion, sont des principes totalement contraires à la communauté de droit que constitue l’Union européenne.

C’est pourquoi la vice-présidente de la Commission a insisté sur le fait «qu’il serait regrettable qu’au lieu d’un processus d’unification, on ait un processus de des-unification à un moment où l’Europe essaie de parler d’une seule voix».

Par ailleurs, l’une des valeurs partagée par tous les Européens est le respect de l’Etat de droit. L’Espagne s’est équipée en 1978 d’une Constitution démocratique, à la rédaction de laquelle ont aussi participé des représentants du parti de M. Mas, notamment M. Miquel Roca Junyent, qui est considéré comme l’un des pères de notre Carta Magna. Et ce texte, approuvé par les représentants de tous les Espagnols, consacre dans son article 2 «l’indissoluble unité de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols, et reconnaît et garantit, en même temps, le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui l’intègrent et la solidarité entre elles».

Voici donc la raison principale qui rend le référendum proposé par M. Mas inacceptable. Il représenterait une brèche insurmon­table dans la légalité en vigueur dans notre pays. Il constituerait également une mesure unilatérale et injuste, par laquelle on ignorerait la volonté de ces citoyens qui ne font pas partie du million et demi de Catalans dont parle le président de la Generalitat dans son article (alors que la Catalogne est une communauté qui compte plus de 7,5 millions d’habitants, selon le recensement officiel de 2012, une population comparable à celle de nombreux pays de l’UE ou à celle de la Suisse). On oublie aussi la volonté du reste des Espagnols qui, même s’ils ne sont pas nés en Catalogne, ont de la famille dans cette région, ont des amis dans cette région, travaillent dans ou avec cette région ou, simplement, sont conscients que celle-ci fait partie de leur identité, puisque la Catalogne est l’Espagne.

Les déclarations de M. Mas ne sont pas dépourvues d’un certain degré de contradiction interne. En effet, il reconnaît son respect et sa soumission au patrimoine communautaire et son engagement à la recherche de solutions aux problèmes de l’UE, alors que sa proposition porte atteinte à l’un des principes de base de la Constitution espagnole: le droit de décision de tous les citoyens, invoquant uniquement le droit de décision d’une partie. Pour l’Espagne et les Espagnols, il n’est pas acceptable d’envisager un référendum qui s’articule autour d’une question anticonstitutionnelle et qui empêche l’ensemble des citoyens d’exprimer son droit à décider l’avenir de tous, tout comme il ne le serait pas pour un peuple de tradition démocratique profonde comme l’est le peuple suisse.

Par conséquent, l’intention des sécessionnistes catalans n’est pas de proposer une réforme démocratique de la Constitution, ni une reformulation du cadre de cohabitation entre l’Etat espagnol et la Catalogne sur la base de la loi et le droit. Il n’y a eu aucune initiative législative ni aucun processus de dialogue, proposé par M. Mas, qui aient permis une harmonisation des positions dans laquelle tous les citoyens, toutes sensibilités et toutes idéologies confondues, puissent se sentir défendus et représentés.

Ernest Renan disait que «l’existence d’une nation est un plébiscite quotidien, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie». Et la cohabitation pacifique et harmonieuse entre citoyens d’origines différentes qui vivent et construisent, jour après jour, la Catalogne est la plus claire confirmation de leurs liens avec l’Histoire de l’Espagne et de l’Europe.
Miguel Angel de Frutos Gomez, ambassadeur d’Espagne en Suisse.

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