« La Chine conteste d’ores et déjà la validité » de la décision de la Cour internationale

L’été s’annonce orageux en mer de Chine méridionale. Cet espace hautement stratégique, par lequel transite près de la moitié du trafic maritime mondial, est âprement disputé depuis quelques années. Pas moins de six États - Chine, Vietnam, Malaisie, Brunei, Philippines, Taïwan - revendiquent des droits souverains sur son sol, sous-sol et ses eaux surjacentes. Leurs prétentions sont principalement fondées sur la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM), aujourd’hui ratifiée par 167 États, dont ceux en litige, sauf Taïwan. La Chine considère toutefois que des titres historiques séculaires lui permettraient d’étendre ses droits bien au-delà des 200 milles marins (370,4 km) prévus par la convention. Ses revendications couvrent ainsi environ 90 % de la mer de Chine méridionale.

La situation est rendue encore plus compliquée par la présence de nombreuses formations maritimes dont la souveraineté est disputée. Ces formations, bien que minuscules et inhabitées, peuvent néanmoins être sources de droits maritimes. De plus, les États en litige ont lancé des activités unilatérales d’exploration en hydrocarbures, de construction d’îles artificielles ou de patrouille. Enfin, depuis 2015, les États-Unis envoient des navires de guerre dans ces zones, pour réaffirmer leur droit de libre navigation, alors que la France entend s’engager dans la même voie, selon les déclarations récentes de son ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. Les tensions se sont dès lors considérablement aggravées.

Après des années de négociations vaines, les Philippines ont saisi début 2013 un tribunal arbitral, constitué en application de la convention, pour qu’il statue sur son différend avec la Chine. C’est peu dire que la Chine a vu d’un mauvais œil cette initiative, qui permet à des juges de s’immiscer dans un processus qu’elle souhaitait bilatéral. Elle pouvait par ailleurs craindre un effet domino, car le Vietnam avait rapidement annoncé vouloir s’engager aussi dans la voie juridictionnelle. La Chine a donc contesté la compétence du tribunal, refusant de comparaître et rappelant les Philippines à la table des négociations.

Nœud gordien

La position chinoise doit être comprise dans le contexte plus large du rôle du juge dans le système international : à la différence du droit interne, le juge international n’a en principe pas de compétence obligatoire. La convention s’écarte partiellement de ce modèle classique : elle prévoit l’existence d’un mécanisme de juridiction obligatoire, mais laisse aux États la possibilité d’y soustraire certaines catégories de différends (comme la délimitation des frontières maritimes, les titres historiques, les activités militaires dans les zones maritimes). La Chine a fait jouer cette option, à l’instar de nombreux États, dont la France. En revanche, pour toutes les autres questions d’application de la CNUDM, la Chine reste soumise à la compétence juridictionnelle obligatoire. Or, compte tenu des quelques 300 articles de la convention, ces questions peuvent être nombreuses.

La décision du tribunal doit donc préserver un équilibre délicat entre ce qui est exclu de sa compétence et ce qui en fait partie. Il en va de la confiance des États dans le système judiciaire international. Y parviendra-t- il ?

En 2015, le tribunal a rendu une première décision sur l’étendue de sa compétence, qui reflète la difficulté à démêler le nœud gordien. Tenant compte de la réserve chinoise, il a exclu tout prononcé sur la frontière maritime et sur la souveraineté des formations territoriales. En revanche, il a déclaré qu’il se prononcerait sur le statut de ces formations : îles, rochers, récifs ou hauts-fonds découvrants. L’enjeu est important car, selon la convention, seules les îles engendrent des droits maritimes allant jusqu’à 200 milles marins (370.4 km). Surtout, le tribunal a déclaré ne pas savoir, à ce stade de la procédure, s’il pouvait trancher la question essentielle de la compatibilité avec la convention des droits historiques invoqués par la Chine, et celle de la licéité des activités de poldérisation et des patrouilles.

Pression diplomatique

La décision sur le fond, qui devrait trancher ces questions en suspens, est tombée le 12 juillet. Pékin en contestait la validité avant sa publication, mettant en cause l’indépendance, l’impartialité et les compétences juridiques du tribunal. En dénigrant l’autorité de ce dernier, la Chine semble vouloir justifier un éventuel refus d’appliquer la sentence. Qu’il nous soit permis de douter de la sagesse d’un tel assaut sur l’autorité du juge international. Quoiqu’en dise la Chine, la sentence est obligatoire pour les Philippines comme pour elle-même. Selon la convention, le tribunal a la compétence de sa compétence, et ses décisions sont obligatoires et sans appel. Si la Chine refusait de la mettre en application, elle serait en violation du droit international. Or une telle posture de violateur sied mal à tout État, aussi puissant soit-il. C’est une question d’honneur, mais aussi de pression sociale.

Le droit international n’a certes pas de bras armé pour garantir l’application des décisions judiciaires. Mais l’histoire nous enseigne que même les grandes puissances ont fini par se plier à la justice internationale, quand bien même le sens de la décision les heurterait. La Chine est déjà sous forte pression diplomatique pour exécuter cette décision, quelle que soit sa teneur. Le G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada) multiplie les déclarations sur l’importance du droit international pour la sécurité maritime. L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) aurait fait de même cette année, n’eût été l’opposition in extremis de la Chine. Les rares soutiens ouverts dont jouit Pékin ne suffiront pas à lui épargner le risque de l’isolement diplomatique.

Discréditer la justice internationale est une pente glissante qu’il serait déraisonnable d’emprunter. Si l’inexécution d’une décision judiciaire donne l’illusion d’un triomphe à court terme, elle conduit à long terme à saper les bases d’un système qui a permis de préserver la paix dans les mers. Il faut espérer que la Chine en prenne conscience.

Alina Miron, Professeur de droit public à l’Université Paris 13.

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