La Chine développe un capitalisme qui ouvre une voie originale vers le XXIe siècle

En 1950, après un siècle de pillages par les Occidentaux, puis le Japon, la Chine était, de très loin, le pays le plus pauvre du monde. Selon les données historiques d’Angus Maddison (publiées par l’Organisation de coopération et de développement économiques), le produit intérieur brut par habitant y était deux fois plus faible que celui de l’Afrique, vingt fois plus faible que celui des Etats-Unis. En 2010, il était environ quatre fois et demie plus faible que celui des Etats-Unis.

Au fil de la trajectoire historique de 1950 à 2050, dont les deux tiers sont réalisés et un tiers en devenir, Mao a rétabli l’unité et l’indépendance d’un pays très pauvre, dont la population était à 95 % rurale, et Deng a trouvé la voie vers la prospérité en éveillant les intérêts privés, en établissant la responsabilité des échanges, en reconnaissant les droits de propriété et en ouvrant l’économie au monde. Le succès se mesure à la performance réalisée : 50 millions de personnes ont été arrachées à la pauvreté absolue en vingt ans.

Enfin, Xi ouvre une « nouvelle ère » qui a une double dimension : le passage de la croissance quantitative à la croissance qualitative pour corriger les déséquilibres accumulés par l’industrialisation, d’une part ; la transformation de la globalisation vers un nouvel ordre mondial à travers le projet « One Belt, one Road » (OBOR, « une ceinture, une route »), d’autre part. L’objectif est de rétablir l’autorité de l’empire du Milieu dans la communauté mondiale. La nouvelle ère est divisée en deux périodes : 2020-2035 pour achever la « modernisation socialiste », 2035-2050 pour « harmoniser le bien-être social et la civilisation écologique ».

Les Occidentaux rencontrent une difficulté majeure à comprendre les transformations de la société chinoise, notamment à admettre que la Chine développe un capitalisme sui generis, qui ouvre une voie originale vers le XXIsiècle. Car notre manière de pensée est pétrie de stéréotypes universels : les droits de l’homme, la démocratie, et le marché, dont la réalisation est censée conduire à la fin de l’histoire.

Une pensée du mouvement

Pourtant, le philosophe François Jullien nous a prévenus que la pensée chinoise est étrangère à cette conception du monde. C’est une pensée du mouvement, de la transformation silencieuse, globale et continue. Il n’existe pas d’essence idéale, pas de transparence et de fin de l’histoire faisant coïncider l’individu et son être social. L’harmonie est la transformation conjointe de la nature et de la société, par laquelle les contradictions qui constituent le mouvement se renouvellent.

L’individu n’existe pas comme essence dans la tradition confucéenne ; l’empire, c’est-à-dire l’unité et la verticalité du pouvoir, coexiste en permanence avec l’autonomie de la société. Celle-ci est un système de réseaux de relations mutuelles qui se constituent dans la durée, et dont la famille est le socle.

Concernant la « modernisation socialiste » vers 2035, la source déterminante du progrès sera l’innovation technique et sociale. Le marché intérieur en sera l’aiguillon, car la classe moyenne est appelée à tripler, de 100 millions à 300 millions de personnes. Poussés par l’expansion de la demande, les objectifs du plan de rénovation industrielle de 2025 sont structurés par des industries stratégiques : numérique, intelligence artificielle. En direction de 2035, l’axe de la croissance soutenable est conçu comme l’imbrication de l’économie numérique et de la transition énergétique. L’essor fulgurant de l’économie numérique, depuis 2013, augure bien de cette évolution.

OBOR, à l’opposé du modèle Wall Street

Ces politiques d’offre doivent aller de pair avec les réformes d’inclusion sociale dans une planification rénovée, mettant l’accent sur les fonctions et non sur des secteurs : centralisation de la sécurité sociale, unification des régimes de retraites, réforme de la fiscalité pour réduire les disparités entre régions. L’enjeu est que la production des biens publics soit financée par des transferts adéquats pour que les régions défavorisées ne soient plus contraintes à la fuite dans l’endettement pour produire les biens et services communs que la population est en droit de demander.

Le projet OBOR, lui, s’étend jusqu’en 2050. Il se propose de créer un nouvel ordre multilatéral en liant la Chine à l’Europe par le biais de deux types d’infrastructures : une voie terrestre à travers l’Asie centrale et une route maritime de la Chine à la Méditerranée. Il s’agit d’un nouveau concept de globalisation fondé sur les infrastructures.

A l’opposé du modèle Wall Street, entièrement bâti sur la domination de la finance, OBOR recherche des formes multiples d’interdépendances : collaborations politiques, interconnexions de territoires, échanges commerciaux mutuels, investissements à long terme. Cette initiative espère contribuer à résoudre les problèmes qui minent la communauté internationale : les inégalités de développement, les rivalités de la gouvernance politique, l’incapacité à agir de concert pour stopper et inverser la détérioration des biens communs globaux.

OBOR est une initiative en adéquation avec les objectifs stratégiques de Pékin, au premier chef, l’intégration de l’Asie autour de la Chine. Au-delà, il cherche à établir un régime de croissance soutenable en réunissant les moyens financiers de l’investissement à long terme.

Par Michel Aglietta, centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), université de Paris-Nanterr.

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