La Chine devient l’usine pour l’innovation du monde

Faire renaître l’empire du Milieu comme « la » puissance économique mondiale. La vision de Xi Jinping pour la Chine est très claire. Et le 19e congrès du Parti communiste, qui s’est ouvert mercredi 18 octobre, pour fixer le cap politique et surtout économique des cinq prochaines années, devrait confirmer la stratégie d’une politique industrielle extrêmement ambitieuse qui place l’économie réelle au cœur du « rêve chinois ».

Au cours des dernières décennies, la Chine a profondément modifié son positionnement. Sur le plan des relations internationales, elle s’implique activement dans le multilatéralisme. Son marché, certes toujours dirigé par l’Etat, s’est ouvert.

Mais la Chine cherche à tracer sa propre voie. Xi Jinping s’est toujours posé en critique du système économique libéral, notamment américain. Très tôt, il a cherché à lutter contre la spéculation financière dans l’immobilier. Il prend maintenant position contre les crypto-monnaies, et cherche à stopper les fuites de capitaux hors de Chine.

Parti en faveur de l’économie réelle

Tout cela participe d’une même conviction, selon laquelle le secteur financier doit soutenir l’économie réelle, et ne doit ni nourrir les bulles spéculatives, ni servir à d’habiles montages financiers à l’étranger. Une conviction d’autant plus forte qu’elle s’accompagne d’une dette globale chinoise de plus de 20 000 milliards d’euros représentant 250 % du PIB. La « maîtrise » de la dette est donc une question de survie…

Pour atteindre cette « troisième voie » chinoise d’un capitalisme débarrassé de ses bulles, les priorités de Xi Jinping sont évidentes : développement urbain, technologie environnementale, énergie, mobilité, logistique et infrastructures.

Jamais un gouvernement n’a aussi clairement pris parti en faveur de l’économie réelle. Le secteur financier chinois investit dans les PME et approvisionne les régions rurales en capitaux. Grâce à des instruments financiers écologiques, les entreprises qui utilisent des énergies renouvelables et développent des techniques de production innovantes représentent déjà 10 % du PIB en 2017.

Conscient que la modernisation de l’économie et de la société passe également par la lutte contre la corruption et contre le changement climatique, Xi Jinping s’est engagé fermement à corriger les deux fléaux majeurs qui avaient accompagné la croissance des décennies précédentes. Et cette stratégie paie, puisqu’elle avoisine les 6,9 % au deuxième trimestre 2017. Les introductions en Bourse ont augmenté de 133 % en un an. Et d’ici à 2020, une majorité de Chinois seront équipés de la 5G.

La peur des transferts de technologies : une mauvaise excuse

Dans ce contexte, à la question de savoir si les entreprises françaises comme Michelin, Sanofi, Air Liquide ou autres ont raison de développer leurs activités de recherche et développement (R&D) en Chine, la réponse est pour moi évidemment oui ! Si le pays a longtemps été considéré comme l’« atelier du monde », il est en train de devenir son usine pour l’innovation.

La puissance financière chinoise est tout entière orientée vers la recherche dans des domaines de pointe tels que l’intelligence artificielle (IA) ou l’internet des objets. D’ici à 2030, le gouvernement compte construire une véritable industrie autour de l’IA, censée représenter un marché de 150 milliards de dollars.

Et si nos regards d’Occidentaux sont tous tournés vers la Silicon Valley, il ne faudrait pas sous-estimer l’avance que sont en train de prendre certaines entreprises chinoises, qui disposent de talents et de compétences exceptionnels. Ainsi l’entreprise Sensetime, quasi inconnue en Europe et qui a développé la technologie KI pour la reconnaissance faciale, a déjà levé plus de 400 millions de dollars, et sa valeur de marché est estimée à 1,5 milliard de dollars !

L’Europe peut et doit prendre part à cette dynamique d’investissement dans l’économie réelle en développant des partenariats avec la Chine. La peur des transferts de technologies n’est qu’une mauvaise excuse, qui est de moins en moins tenable. Dans beaucoup de domaines déjà, la Chine nous a déjà égalés, et nous risquons plutôt de la regarder nous dépasser.

« Avec ou sans nous ? »

Plutôt que « quels sont les risques ? », c’est à la question « avec ou sans nous ? » que doit répondre la décision d’investir dans la R&D en Chine. Certes investir en Chine n’est pas sans aléa. Mais cela ne relève pas non plus du pari insensé ou du jeu de hasard. Cette décision ouvre d’abord l’accès au plus grand marché du monde dynamisé par l’une des recherches les plus puissantes avec plus de 1,5 million de chercheurs.

N’oublions pas que ZTE et Huawei, les deux géants des télécoms – longtemps regardés de haut par Alcatel – ont déposé un tiers des demandes de brevets internationaux en 2016 (c’est 20 fois plus que L’Oréal, première entreprise française). Ne pas investir en Chine, c’est donc prendre le risque – plus grand – de rester à la traîne.

Au-delà des questions technologiques, la stratégie de Xi Jinping doit également nous inspirer, nous Européens, et nous inciter à embrasser des objectifs de politique industrielle ambitieux. Dans le futur ordre mondial qui se dessine, la Chine sera un acteur incontournable. C’est un fait ! Mais nous, quelle place souhaitons-nous avoir ?

Le consortium que la Commission européenne appelle de ses vœux pour la construction de batteries électriques est typiquement de ces projets dont l’Europe a besoin, tourné vers l’économie réelle, susceptible de drainer les investissements, et ouvrant des marchés considérables. Mais il nous faut aller vite, car comme le soulignait la Commission elle-même, la Chine est déjà en avance sur nous, y compris dans ce domaine.

Par Charles-Edouard Bouée, PDG du cabinet d’études et de conseil stratégique Roland Berger, également en charge de la zone Asie.

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