La Chine, influenceuse planétaire

Les révélations relatives à l’ingérence russe dans le processus électoral de plusieurs pays, y compris la France, ont ramené sur le devant de la scène des pratiques et méthodes que l’on croyait croupissantes dans les oubliettes de la guerre froide. L’ingérence a pour but d’orienter le cours de la politique d’un pays donné dans une direction favorable aux intérêts de la puissance étrangère. Elle s’appuie sur une panoplie d’outils subversifs (corruption, coercition, propagande, désinformation) relayés par des médias, des associations, ou des personnalités publiques, dans le but d’influencer l’opinion publique et les élites.

La Russie n’est pas la seule puissance à pratiquer l’art de la guerre politique. La Chine mène le même combat, utilisant des armes similaires. Au cours des derniers mois, les exemples d’ingérence chinoise se sont accumulés : pressions financières exercées sur la prestigieuse Cambridge University Press, lui intimant de retirer de ses bases de données des centaines d’articles dont le contenu déplaisait à Pékin ; atteintes répétées à la liberté d’expression dans plusieurs universités australiennes et américaines opérées par des associations d’étudiants chinois rattachées à des organes centraux du Parti communiste chinois (PCC) ; rachat de journaux locaux ou coproduction de programmes médiatiques. Le monde politique n’est pas épargné : des tycoons liés au PCC ont versé plusieurs millions de dollars sous forme de donations aux principaux partis politiques australiens ; le directeur de la CEFC China Energy, une compagnie chinoise aux origines opaques, est depuis deux ans conseiller personnel du président tchèque. Alors que la Nouvelle-Zélande se prépare à tenir ses élections législatives, les services de contre-espionnage néo-zélandais ont déclaré avoir ouvert une enquête sur un ex-professeur de l’université d’Auckland, devenu député du Parti national en 2011. Avant son arrivée en Nouvelle-Zélande, Yang Jian avait enseigné à l’Institut des langues étrangères de Luoyang, une institution formant les officiers de renseignement du 3e département de l’Armée populaire (l’équivalent de la NSA). Il avait «oublié» de le mentionner.

Les objectifs de la guerre politique menée par la Chine sont différents de ceux de Moscou, mais leurs tactiques ont un point commun : la manipulation de la liberté et de l’ouverture offertes par les sociétés démocratiques. Là où la Russie veut diviser l’Europe, détourner son attention et la dissuader de réagir à ses agressions répétées, Pékin souhaite établir sa prépondérance sur une région Asie-Pacifique élargie qu’elle souhaite débarrassée de la présence américaine. Afin d’y parvenir sans déclencher de conflit militaire, elle s’attache à décrédibiliser Washington auprès de ses alliés, à diviser les acteurs régionaux et à les dissuader d’intervenir dans l’espace maritime est-asiatique qu’elle souhaite établir comme son pré carré. Au-delà de la rivalité stratégique sino-américaine, c’est aussi un accès à des marchés, des savoir-faire et des technologies, que recherche une Chine qui s’est donnée pour objectif de dépasser la première puissance économique mondiale.

Le rêve du «grand marché chinois» ou la promesse d’opportunités lucratives offertes par son programme des «nouvelles routes de la soie» servent d’appâts à des entreprises et gouvernements souvent prompts à coopérer sans se soucier des potentielles conséquences négatives à long terme.

Enfin, le contrôle de l’information et l’effort de propagande chinois ne s’arrêtent pas à la frontière virtuelle créée par la «grande muraille digitale» qui scelle le cyberespace de la République populaire. Xi Jinping souhaite que la «voix de la Chine» résonne dans le monde, martelant les succès de la «solution chinoise» présentée comme une alternative à un modèle de globalisation en faillite. Une alternative dans laquelle les «droits au développement» passent avant le respect des valeurs universelles. Toutes les démocraties sont concernées et chacune se doit d’être vigilante.

Nadège Rolland, directrice de recherches à The National Bureau of Asian Research (NBR).

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