La Chine tire profit de la guerre des monnaies

Des ajustements de change spectaculaires sont en cours depuis plusieurs mois entre les monnaies mondiales : face au dollar, le real brésilien a perdu depuis mars 2012 15 %, le peso argentin 13 %, la roupie indienne 11 % et le yen japonais 14 % ; après avoir reculé jusqu'à la mi-juillet, l'euro est remonté brutalement de 11 % face au dollar et de 4 % face à la livre sterling depuis la même date.

D'où viennent ces bouleversements qui risquent d'aboutir à une guerre des monnaies ? Un bref rappel historique montrera que, en amont, la responsabilité de cette situation doit être imputée à la politique monétaire et commerciale de la Chine. De 1985 à 2007, quand l'influence de Pékin en son sein était encore minime, le Fonds monétaire international (FMI) répétait que le déséquilibre des échanges internationaux induisait le risque d'une crise systémique.

Keynes, l'un de ses pères fondateurs, avait conclu en 1945 que la crise de 1929 était imputable à l'excédent commercial colossal que les Etats-Unis avaient renouvelé de 1900 à 1945. Si ceux-ci octroyèrent en 1947-1948 une réévaluation très forte du dollar, ce fut justement pour que l'Europe et le Japon redressent leurs échanges commerciaux et puissent sortir de leur crise économique et sociale, échappant ainsi à l'avidité de l'URSS.

LE FMI A ÉTÉ SURPRIS PAR LA CRISE

En 2007, le FMI a été surpris par la crise parce qu'il n'avait pas bien pris la mesure du déséquilibre des échanges : il s'était polarisé sur le seul déficit des Etats-Unis, certes béant et croissant, sans remarquer que celui-ci provenait principalement d'un excédent énorme et croissant de la Chine en produits manufacturés vis-à-vis du reste du monde.

L'empire du Milieu avait en effet un privilège indépassable : une énorme surcompétitivité-coût face aux Etats-Unis, mais aussi face à tous les autres pays industrialisés du monde, le Vietnam excepté. En 2011, le coût horaire du travail en Chine, comparé en dollars, est encore environ 20 fois inférieur à celui des Etats-Unis, et 25 fois inférieur à celui de la zone euro.

A cela s'ajoutent les droits de douane non symétriques : 5 % sur les produits chinois importés par l'Europe, mais 30 % en moyenne sur les produits européens importés par la Chine...

Or, Pékin verrouille ces privilèges. Grâce à la non-convertibilité du yuan, adossée à un contrôle des changes policier, il maîtrise le cours du yuan, qui est encore sous-évalué de 30 % à 40 % face au billet vert. Grâce à son adhésion, à la fin de 2001, à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il se protège de toute rétorsion douanière.

Au début de 2012, il s'est même octroyé un autre privilège, celui de subventionner ses exportations par un biais fiscal, sans provoquer de réaction de la part de l'OMC.

SAUF EN CHINE

Au total, depuis 2001, le solde en produits manufacturés de la plupart des pays n'a cessé de se détériorer, presque partout, sauf en Chine : dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, sauf l'Allemagne et la Corée du Sud), mais aussi en Russie, au Brésil, en Argentine, en Inde ou en Turquie...

Dès lors, par la désindustrialisation sans limite qu'elle leur infligeait, la Chine exposait les pays de l'OCDE à subir, tôt ou tard, une récession structurelle. Ceux-ci ont alors cherché des échappatoires.

Entre 2001 et 2007, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande ont sollicité leur sphère immobilière jusqu'à l'hypertrophier, tandis que des pays comme l'Italie, le Portugal, la France ont cru pouvoir compenser un déficit commercial croissant par un déficit budgétaire croissant.

La suite est connue. A partir de la mi-2006, aux Etats-Unis, les logements neufs n'ont plus trouvé d'acheteurs solvables. Après la mi-2007, la crise immobilière a enclenché une crise bancaire et boursière, ce qui a provoqué une première récession des pays occidentaux.

A la fin de 2008, face au refus renouvelé de Pékin de réévaluer significativement le yuan, les pays occidentaux se sont résignés à une relance budgétaire coordonnée. Mais, dès 2010, une crise de leurs finances publiques a éclaté.

DEUXIÈME RÉCESSION

Leurs banques centrales se sont alors résolues à mener une politique inédite de stimulation monétaire et obligataire. En dépit de tout cela, à l'automne 2012, trois ans après un début de reprise, le Royaume-Uni, le Japon et la zone euro ont plongé dans une deuxième récession, alors que l'économie américaine restait vulnérable. La récession structurelle redoutée a fini par s'imposer...

Ayant épuisé toutes leurs munitions, ces pays en arrivent à se battre les uns contre les autres en suscitant des évolutions de change artificielles. Ce jeu est dérisoire : si, après les autres banques centrales, la Banque centrale européenne (BCE) se décidait à son tour à affaiblir l'euro, on découvrirait vite que le jeu est à somme nulle.

Pékin s'en réjouit secrètement. Protégée de cette guerre des changes, la Chine souhaite, de longue date, que sa politique commerciale agressive contraigne les gouvernements démocratiques à se déchirer ente eux.

Leur devoir consisterait pourtant à désigner l'excédent commercial chinois (énorme, en dépit d'une forte dissimulation statistique) comme la principale entrave à la croissance mondiale.

Il faudrait que les pays de l'OCDE et d'autres pays comme le Brésil, l'Inde ou la Turquie s'unissent pour amener Pékin à des concessions significatives sur sa politique commerciale, sur la question des contrefaçons, sur la révision de ses barèmes douaniers, et bien entendu sur une réévaluation du yuan contre toutes les monnaies. La survie économique des pays démocratiques en dépend.

Antoine Brunet, économiste

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