La communauté musulmane n’existe pas

La prétendue «communauté musulmane» à laquelle se réfère le système politico-médiatique se situe entre la pure fiction et la construction artificielle d’une «communauté imaginaire». Cette notion n’en reste pas moins particulièrement efficace et dangereuse : d’une part, elle tend à englober un ensemble d’individualités dans une masse informe, un être collectif qui sommeillerait au sein - ou aux portes - de la communauté nationale, un Autre qui prend les traits d’un ennemi intérieur. D’autre part, elle suscite chez les personnes de confession ou de culture musulmane une réaction de repli sur soi de nature à forger un lien communautaire nourri par un sentiment d’exclusion et de stigmatisation. Il est donc salutaire de déconstruire cet objet de fantasme. Non seulement la «communauté musulmane» ne peut exister de jure au sein de notre Etat de droit, mais, de facto, elle n’existe effectivement pas au sein de notre corps social.

La communauté musulmane n’existe pasEn droit, l’idée de «communauté musulmane» est contraire à l’ordre constitutionnel de notre République. L’article Ier de la Constitution énonce le principe d’indifférence aux origines et autres confessions religieuses : la République française ne connaît que des citoyens, égaux dans leur relation directe avec l’Etat. Le principe d’unité et d’indivisibilité de la nation ainsi sous-tendu interdit la reconnaissance d’une quelconque minorité ou catégorie de Français. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui établit un lien entre unité et égalité des citoyens, a déjà eu l’occasion d’expliciter l’interdiction de toute différenciation : la France, du moins pour la métropole, ne connaît que le peuple français, un peuple «un et indivisible» exempt de minorités et uniformément soumis à la même loi nationale. L’analyse constitutionnelle qui prévaut est claire, à savoir le refus de la reconnaissance de groupes d’individus liés entre eux par des intérêts divers, des communautés ou ethnies.

Et pourtant. Au lieu d’être considérés comme citoyens et membres de la communauté nationale, les individus de confession ou de culture musulmane sont perçus à travers un regard racialisé, occupé de spécificités ethno-culturelles, desquelles on déduit l’appartenance présumée à une communauté supposée. Contraire à notre conception de la République, cette représentation est sociologiquement infondée. Le label «communauté musulmane» ne correspond à nulle catégorie sociale homogène ou à un quelconque bloc monolithique. Les individus musulmans - car il s’agit d’abord d’individualités - ont (par définition) une identité plurielle. Celle-ci nourrit une hétérogénéité collective qui discrédite l’idée même de «communauté musulmane». Ainsi, malgré des origines sociales le plus souvent modestes et l’appartenance d’une majorité d’entre eux aux classes sociales défavorisées, l’accès à l’enseignement supérieur et l’augmentation du nombre / niveau de diplômés / diplôme est source de distanciation intergénérationnelle (parents / enfants) et de diversification des profils et parcours socioprofessionnels intragénérationnelle. Cette hétérogénéité sociale se trouve confortée par un rapport diversifié à la foi - une même personne peut se considérer de culture musulmane tout en étant athée - et à la pratique religieuse. Cette diversité s’explique par une affirmation de l’individualité (les musulmans existent d’abord en tant qu’individu), mais aussi par l’absence d’uniformité au sein d’une religion non hiérarchisée, traversée par de nombreux courants doctrinaux. Du reste, seule une infime minorité adhère au salafisme et affiche son appartenance religieuse dans l’espace public, la norme étant de confiner la pratique religieuse au sein du strict cadre privé. Un processus de sécularisation est aussi à l’œuvre parmi les musulmans de France… C’est ce phénomène global d’individualisation et de différenciation qui nourrit la crise de représentativité-légitimité du Conseil français du culte musulman.

Béligh Nabli, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), enseigne les relations internationales à Sciences-Po Paris.

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