La communication, refuge du pape face à l'immobilisme

Le pape François est un très bon communicant. Non seulement il séduit les journalistes, mais il sait aussi attirer l'attention et l'intérêt des personnes en dehors de l'Eglise catholique romaine. Il semble redorer l'image d'une institution avilie par les scandales – pédophilie, financement occulte – et d'une organisation en crise dans les sociétés modernes libérales qui dénombrent de moins en moins de fidèles, de prêtres et religieux.

Par son style tranchant avec celui, magistral et doctrinaire, de Benoît XVI, par son rejet du protocole traditionnel contrairement à Jean Paul II, par ses actes en faveur des « plus fragiles » et « exclus de la société », par son choix d'assainir les finances du Vatican et enfin par sa rhétorique casuistique, le premier pape jésuite de l'histoire a tout pour envoûter notre monde… du moins semble-t-il. En effet, cet envoûtement n'est qu'apparent et provisoire dans la mesure où il se heurte à une donnée historique fondamentale : la poussée d'Archimède catholique.

UNE PRESSION D'ORDRE ECCLÉSIAL ET HOSTILE À TOUT CHANGEMENT

Elle peut se définir comme la force institutionnelle contraire à tout mouvement réformateur, qu'il provienne de l'intérieur ou de l'extérieur de l'Eglise. Cette pression d'ordre ecclésial et hostile à tout changement constitue le ferment de l'histoire du catholicisme. Que cela soit autour de 500 après la chute de l'Empire romain avec l'invasion de nouvelles populations « barbares » converties partiellement, autour de l'an 1 000 après la prise du pouvoir des laïcs et des seigneurs dans la gestion de l'Eglise romaine, vers 1500 avec la Réforme protestante ou avec l'entrée des sociétés dans la modernité, l'institution ecclésiale romaine réagit en exerçant une poussée inverse, ferme et de plus en plus radicale au fil de son histoire.

Ainsi, aux Ve et VIe siècles, les papes Gélase Ier et Grégoire le Grand affirment le pouvoir suprême de l'évêque de Rome sur tous, gouvernés et gouvernants ; au XIe siècle, Grégoire VII considérera que l'évêque de Rome est « le vicaire de Dieu » pour asseoir son autorité sur les princes ; au XVIe, la Contre-Réforme catholique érigera le plus grand quadrillage territorial des consciences individuelles et collectives, la civilisation paroissiale placée sous la houlette des curés et de leurs confessionnaux.

Au XIXe siècle, la condamnation par Pie IX des « principales erreurs de notre temps », c'est-à-dire de la modernité, et le concile Vatican I (1869-1870) donneront naissance au dogme de l'infaillibilité du pape faisant de celui-ci un quasi-Dieu.

Certes, le concile Vatican II (1962-1965), à l'initiative de Jean XXIII, insuffle un mouvement de réforme, oecuménisme, liberté de conscience, liturgie adaptée aux territoires, mais engendre des mouvements de contestation ainsi que de multiples interprétations conservatrices, à commencer par celles des papes. Effectivement, Jean Paul II, en matière de gouvernance, ne cesse d'établir dans les diocèses des évêques hostiles aux changements de société ; Benoît XVI n'a de cesse de rappeler la doctrine romaine en l'opposant à la modernité libérale, marquée par la révolution de l'individu s'émancipant des institutions.

AUGMENTATION DES RÉSISTANCES INTERNES

C'est dans ce contexte que le pape François, élu en mars 2013, va changer de style, de manière de gouverner, mais c'est sans compter sur cette poussée d'Archimède. A force de se déclarer anticlérical, d'être opposé aux « évêques d'aéroports » nommés par ses prédécesseurs, de condamner les abus d'autorité de la curie romaine, il s'expose à deux effets institutionnels qui auront sans doute raison de lui s'il continue sur cette voie, comme l'histoire de l'Eglise le montre. Le premier peut être appelé « effet Allègre », pour reprendre le politiste François Mabille : quand un chef s'en prend directement au mammouth et ses serviteurs, l'institution qu'il dirige se braque au point de l'évincer.

Le second effet est l'« effet Gorbatchev », pour reprendre la formule de l'écrivaine Christine Pedotti : plus un dirigeant secoue l'Etat qu'il anime et en change l'image, plus il accroît certes sa popularité à l'étranger, mais il augmente aussi les résistances internes de ses membres qui se sentent abandonnés, floués. Ces poches identitaires catholiques se méfient d'un pape qui semble vouloir changer le visage de leur Eglise, dont le droit, la tradition, la doctrine, les structures n'ont de sens que mûs par la poussée d'Archimède catholique, privilégiant la stabilité, la conservation des pouvoirs des clercs et la préservation du dogme sacré par les théologiens.

Si François va trop loin, il sera évincé par l'institution qui n'en sera pas à sa première éviction. Le pape jésuite l'a déjà compris en canonisant dimanche 27 avril, aux côtés du « bon pape Jean XXIII », Jean Paul II dont la sensibilité conservatrice lui attirera prêtres et fidèles réticents. Mais durant combien de temps va-t-il conjurer cette force contraire structurant l'institution qu'il dirige ?

Olivier Bobineau, Sociologue.

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