La conférence de Copenhague sur le climat, le pari de l'optimisme

Depuis quelques mois, les pronostics pessimistes sur les chances de parvenir à un accord à Copenhague se multiplient, tandis que la négociation internationale piétine. En même temps, la pression politique ne cesse d'augmenter, comme en témoigne la mobilisation des chefs d'Etat à New York. Jamais les attentes pour les résultats d'une négociation mondiale n'auront été aussi grandes. Pourquoi donc ce pessimisme, alors que la plupart des pays ont mis à l'étude ou enclenché des politiques de réduction des émissions ? Quand et comment cette dynamique négative s'est-elle enclenchée ?

La négociation a pris un tournant décisif en juillet à L'Aquila, lors du sommet du Forum des économies majeures. Pour la première fois, les chefs d'Etat des dix-sept pays les plus émetteurs de la planète se sont accordés sur un objectif de limitation de la hausse des températures à + 2 °C. Ils ont ainsi rendu explicite ce qui était encore implicite depuis la conférence de Bali en décembre 2007. L'arithmétique qui en découle est implacable. Pour avoir une chance sur deux d'atteindre cet objectif, il faut un niveau d'émissions globales d'environ 44 à 48 gigatonnes (Gt) d'équivalent CO2 en 2020, 35 Gt en 2030 et 20 Gt en 2050. Nous sommes aujourd'hui à 50 Gt.

Pour atteindre cet objectif, les réductions d'émissions des pays développés ne suffiront pas. Si les émissions globales tombent à 35 Gt en 2030, les pays développés et la Chine devraient réduire le niveau d'émissions par unité de production par un facteur au moins de 4. Si les émissions de la Chine et de l'Inde poursuivaient leur cours actuel, même avec une réduction massive des émissions des pays développés, tous ceux qui vivent dans le reste du monde devraient alors avoir un niveau d'émissions par tête "négatif". C'est bien sûr à la fois invraisemblable et inacceptable, si la croissance dans les pays développés se poursuit au même rythme qu'aujourd'hui. Il faudra donc que les pays en développement limitent et réduisent leurs émissions, tout en poursuivant leurs ambitions de croissance et de réduction de pauvreté.

La négociation porte ainsi sur le partage du budget carbone entre pays développés et pays en développement, notamment ceux d'entre eux qui ont les responsabilités et les capacités les plus grandes. Cette négociation est difficile parce qu'elle devient concrète. Elle s'attaque aux questions qui fâchent : de combien chacun doit-il réduire ses émissions ?

Dans ce contexte, les pays en développement sont conscients de quatre points : ils réalisent qu'ils doivent eux-mêmes réduire leurs émissions de façon absolue pour limiter la hausse des températures à 2 °C ; ils estiment que les pays développés ne font pas d'efforts suffisants ; ils considèrent que les pays développés ne les incitent pas à agir, notamment par des transferts financiers et technologiques significatifs ; et enfin ils savent qu'ils seront les premiers à souffrir des impacts du changement climatique.

En effet, les offres de réduction d'émissions des pays développés - officielles ou indicatives - ne sont pas à la hauteur. Le groupe international d'experts sur le climat (GIEC) estime que les pays développés devraient réduire leurs émissions de 25 à 40 % en 2020 par rapport à 1990, et de 80 à 95 % en 2050. L'Union européenne s'est engagée à réduire ses émissions de 20 % unilatéralement (30 % en cas d'accord international). Le Japon vient de déclarer qu'il s'engageait à les réduire de 25 %. Quant aux Etats-Unis, après dix ans d'inaction, ils ne sont pas encore en mesure de déclarer un chiffre exact. Mais les potentiels de réduction d'émissions à bas coût existent, et les Etats-unis devraient s'en rapprocher au maximum.

Tant que les pays développés ne se seront pas engagés collectivement à réduire leurs émissions de 25 à 40 % (par rapport à 1990) les pays en développement estimeront qu'ils n'ont pas pris leur juste part du fardeau, et refuseront d'engager la discussion sur leurs propres réductions.

Au-delà de la bataille autour des pourcentages, et pour construire la confiance entre les parties qui fait aujourd'hui défaut, il faut que tous les pays développés décrivent la trajectoire de développement et d'émissions qu'ils comptent emprunter et ses points de passage en 2020, 2030 jusqu'à 2050, et sa cohérence. A ce titre, 2030 est crucial : c'est le moment où, raisonnablement, les efforts d'investissement, notamment dans le domaine de l'énergie, vont porter leurs fruits, 2020 étant trop proche. Il ne faut donc pas centrer tout le débat sur les échéances 2020 et 2050, comme c'est le cas aujourd'hui.

Les offres de réduction d'émissions des pays en développement - pour les plus émetteurs d'entre eux - ne sont pas non plus à la hauteur. Elles dépendent pour une part du soutien financier et technologique qui sera apporté, mais aussi du cadre politique dans lequel situer leurs actions. Si la plupart des pays sont prêts à agir de façon significative, ils ne sont pas prêts - souveraineté oblige - à inscrire leurs stratégies de développement "sobres en carbone" dans le cadre d'un accord international, avec l'approbation d'un organe extérieur, et ne se laisseront pas dicter leurs choix. L'engagement international sur des chiffres absolus de réduction d'émissions est aussi un point très sensible, et les discussions autour des réductions par rapport à des scénarios de référence génèrent plus de conservatisme que de dynamique.

Sur ces deux points, les objections des pays en développement peuvent être dépassées. Il est en effet possible de trouver un arrangement institutionnel qui garantisse l'autonomie des pays dans la définition de leurs stratégies de développement, tout en donnant confiance à la communauté internationale. Les pays en développement pourraient s'engager sur une amélioration de l'efficacité énergétique ou des rythmes et des niveaux de déploiement de technologies propres, plutôt que sur une réduction des émissions en pourcentage par rapport à un scénario tendanciel. Ils pourraient aussi définir un portefeuille d'actions qui assure le découplage de la croissance économique de celle des émissions.

La négociation est donc compliquée, mais les marges de manoeuvre existent. Pour sortir de cet équilibre sous-optimal, où chacun fait des offres trop conservatrices, il faut remettre les gains de la coopération au centre. Seul un effort coordonné de réduction des émissions permettra de réduire significativement le coût des actions unilatérales et donnera des signaux crédibles aux acteurs économiques. Menée de façon coopérative, la transition vers des économies sobres en carbone sera un moteur puissant de croissance, générateur de nouveaux investissements et d'emplois. C'est même le seul scénario de croissance viable à long terme.

La dynamique négative dans laquelle s'est enlisée la négociation peut être stoppée. Les discours de plusieurs chefs d'Etat à New York, dont le président Hu Jintao, ont relancé le mouvement. De retour de Chine, nous avons pu constater le sérieux de l'engagement chinois pour une croissance verte, axe majeur du plan quinquennal.

Face à cette volonté de changement qui se manifeste concrètement en Chine mais aussi dans bien d'autres pays en développement, il faut que les pays développés fassent le pari de la confiance. Et qu'ils proposent des réductions des émissions, une coopération technologique et un paquet de soutien financier cohérent (tant du point de vue des sources, que des volumes et de la gouvernance), pour aider les pays en développement à mettre en place, à grande échelle, un modèle énergétique moins émetteur de carbone. La réponse au risque climatique, c'est l'adoption par tous d'un nouveau modèle de croissance, c'est le pari de la créativité et de l'innovation contre le conservatisme.

Nicholas Stern, président du Grantham Institute on Climate Change et professeur à la London School of Economics, et Laurence Tubiana, fondatrice de l'Iddri, professeur à Sciences Po, directrice des biens publics mondiaux du ministère des affaires étrangères.