La Convention citoyenne pour le climat pourrait préfigurer une nouvelle forme de démocratie

La Convention Citoyenne sur le climat vient de terminer sa cinquième session, avec seulement deux rencontres supplémentaires avant de devoir rendre ses propositions au gouvernement début avril. Cette convention, qui rassemble 150 citoyens français tirés au sort depuis octobre 2019, réfléchit à la meilleure manière de réduire de 40 % (par rapport à leur niveau de 1990) les émissions de gaz à effet de serre de la France d’ici à 2030, le tout dans un esprit de justice sociale. S’il est encore trop tôt pour parler du contenu et de l’avenir de ces propositions, on peut poser d’autres questions : qu’a accompli cette convention jusqu’à présent et que représente-t-elle, plus largement, dans ce moment de crise de la démocratie que nous traversons ?

La première chose à dire, c’est que cette Convention citoyenne a déjà accompli une tâche historique. Elle fonctionne bien – dans son organisation logistique comme dans ses délibérations – et elle est visible, faisant l’objet d’une couverture médiatique importante en France et, de plus en plus, à l’étranger. Elle fait ainsi la démonstration empirique, symboliquement importante, qu’impliquer des citoyens ordinaires sur des enjeux politiques complexes au niveau national est possible, même dans un pays aussi grand et multiculturel que la France.

Jusqu’ici, les assemblées et processus délibératifs ayant bénéficié d’une visibilité similaire avaient été mis en place au niveau infranational (par exemple, en Colombie-Britannique et dans l’Ontario, au Canada), ou dans des pays considérés comme trop petits ou trop homogènes (l’Islande, l’Irlande) pour que leur exemple puisse être généralisé. Le « grand débat national » lui-même, que cette assemblée vient en un sens compléter, n’avait permis de vraies délibérations qu’au niveau local (notamment dans les 21 assemblées régionales tirées au sort).

Frémissements conceptuels

Cette convention marque donc une avancée importante pour la démocratie délibérative, à savoir l’ensemble des théories et pratiques qui placent au cœur de la légitimité démocratique l’échange raisonné entre citoyens libres et égaux. La convention citoyenne française est, à cet égard, un jalon sur le plan international. Elle a déjà suscité des ambitions accrues au Royaume-Uni, où a démarré, le 25 janvier, une assemblée citoyenne sur le climat (« UK citizen’s climate assembly »), et en Espagne, qui vient d’annoncer la tenue d’une convention sur le modèle français. Elle va sans doute, aussi, donner plus d’audace à ceux qui aimeraient passer à des échelles supérieures sur les enjeux climatiques ou autres, par exemple ceux de l’Union européenne et, pourquoi pas, de la planète.

Surtout, cette convention a le mérite de remettre à plat des questions de philosophie politique que nous croyions stabilisées depuis deux cents ans, mais que la crise des institutions représentatives et des corps intermédiaires (Parlement, partis, syndicats, etc.) nous force à rouvrir. Qu’est-ce que la représentation démocratique ? La légitimité et la responsabilité des représentants peuvent-elles venir d’autre chose que d’un mandat électoral ? Comment articuler les diverses formes de démocratie invoquées par les uns et les autres – démocratie délibérative, mais aussi « directe, » « participative » ou encore « citoyenne » d’un côté, et démocratie dite « représentative » de l’autre ?

A cet égard, les échanges publics qui ont eu lieu à la convention lors de la visite présidentielle du 10 janvier sont emblématiques de frémissements sémantiques et conceptuels intéressants, qui pourraient, à terme, aboutir à des reconfigurations institutionnelles ou même constitutionnelles. Quand Jocelyn, 16 ans, membre de la convention venu d’Alsace, demande au président : « Est-ce que vous pensez que l’avenir de la démocratie française se trouve dans une démocratie plus délibérative, à l’image de cette convention ? », il obtient une réponse conciliatrice : « En même temps qu’on invente la démocratie délibérative, il faut restaurer la démocratie représentative. »

Par démocratie « représentative », le président entend, comme beaucoup, démocratie « électorale », restreignant ainsi implicitement aux élus le statut de représentants du peuple français et le manteau de la légitimité politique. S’il envisage une place pour les citoyens tirés au sort, c’est en renfort aux élus (dont lui), non comme leur concurrence. Une autre réponse possible à la question de Jocelyn, plus radicale, aurait été d’admettre qu’inventer la démocratie délibérative demande de penser la représentation et la légitimité autrement, au-delà de l’élection et, donc, en partie en compétition avec elle. Dans les faits, la promesse de soumettre « sans filtre » certaines des propositions de la convention à référendum peut d’ailleurs se lire comme une mise en compétition avec le Parlement, ainsi contourné dans sa prérogative législative.

Un rôle de « haut-parleur »

Les membres de la convention n’hésitent pas, eux, à se voir comme des représentants d’un genre nouveau. Comme l’a dit Nicolas, 17 ans, autre lycéen de la convention venu d’Aix-en-Provence, en se présentant au président : « Je représente la jeunesse d’où je viens. » Il s’attribuait ainsi, précisait-il par la suite dans un entretien, un rôle de « haut-parleur » pour les jeunes, dont il essaie de dire « ce qu’ils pensent » et au nom desquels il essaie d’« agir ».

Interrogés sur leur rôle à la convention (par l’intermédiaire de questionnaires), les participants le décrivaient majoritairement, dès la fin de la première session, en des termes évoquant un rôle de représentant. Seule une minorité des répondants disait ne prendre la parole qu’en leur seul nom propre, plutôt qu’au nom d’eux-mêmes et de gens comme eux, au nom de causes qui leur sont chères, au nom d’autres groupes et intérêts particuliers, ou même au nom du public dans son ensemble.

Quid de la légitimité de cette assemblée tirée au sort ? Elle est conférée, légalement, par l’autorisation présidentielle. Les philosophes la chercheraient plutôt, d’un point de vue normatif, dans l’impartialité et l’égalité du sort, dans la représentativité descriptive du groupe, ou encore dans ses capacités délibératives. Certains parmi les 150 membres la voient comme étant « à construire ». Elle passe, pour eux, par un dialogue avec le reste de la société, d’où leurs efforts pour porter leurs travaux hors les murs, dans les médias comme dans des réunions locales, et leur invitation au grand public à contribuer à leur plate-forme en ligne. Elle pourrait requérir à terme une constitutionnalisation du principe du tirage au sort.

On peut ainsi voir la démocratie délibérative incarnée par les participants à la convention non pas comme une alternative à la démocratie représentative, mais comme une autre de ses modalités possibles. En tous les cas, il ne s’agit pas de démocratie « directe. » Le tirage au sort, comme l’élection, crée une médiation entre l’ensemble de la population et le sous-groupe sélectionné. Il ne s’agit guère non plus de démocratie « participative », puisque seulement 150 personnes sur 67 millions de Français sont impliquées dans l’expérience actuelle.

« Représentation lotocratique »

Je propose pour ma part de conceptualiser l’activité des 150 comme une forme de « représentation lotocratique » (ou représentation par le sort). La représentation lotocratique a le mérite, par rapport à la représentation électorale, de créer « une France de poche », pour reprendre la formule d’un participant, dont la ressemblance démographique avec la France réelle minimise le risque que ses délibérations ignorent la perspective de pans entiers de la population. Comme le président l’a admis avec une certaine candeur lors de sa rencontre avec les participants, faire cette Convention citoyenne sur le climat plus tôt lui aurait permis d’anticiper la révolte des « gilets jaunes » contre la taxe carbone. Peut-être n’est-il pas trop tard pour en envisager une autre sur la réforme des retraites ?

Mais si la délibération au sein d’un groupe suffisamment large de citoyens tirés au sort a des mérites que n’a pas la délibération entre élus, pourquoi ne pas envisager un transfert de pouvoir des représentants élus vers les représentants lotocratiques ou, tout au moins, une nouvelle distribution des rôles ? Certains ont proposé de créer une « chambre du futur », sur la base du tirage au sort, pour traiter spécifiquement de sujets environnementaux. On pourrait aussi envisager une « assemblée du peuple » ayant une autonomie législative propre sur l’ensemble ou une partie des sujets traités à l’heure actuelle par les Chambres élues. Elle pourrait soit venir en remplacement de l’une des Assemblées existantes (l’Assemblée nationale, le Sénat ou le Conseil économique, social et environnemental), soit s’articuler à elles d’une manière qui reste à déterminer.

Envisager de tels changements demande de conduire une analyse comparée des mérites respectifs de différentes formes de représentation démocratique. Cela implique aussi de penser une légitimité politique autre que celle conférée par l’élection, ainsi que la possibilité d’une responsabilité politique réalisée autrement que par la sanction électorale. La Convention citoyenne pour le climat, de ce point de vue, si elle était pérennisée institutionnellement, pourrait donc préfigurer une nouvelle forme de démocratie représentative, moins strictement électorale et plus accessible – plus « ouverte » – aux citoyens ordinaires.

Dans une période marquée par la violence des conflits sociaux, la méfiance envers les institutions et un sentiment de blocage général, la convention ne résoudra pas tout. Mais elle donne au moins l’exemple de délibérations intelligentes conduites dans une ambiance constructive et fraternelle. Là où d’autres nations confrontées à des problèmes similaires se réfugient dans le populisme antidémocratique ou l’autoritarisme, cette convention, quel que soit son impact final, représente ainsi l’espoir qu’une autre politique, peut-être même une autre démocratie, est encore possible.

Hélène Landemore, ancienne élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, est professeure de sciences politiques à l’Université de Yale. Elle est notamment l’auteure de Democratic Reason (Princeton University Press, 2013).

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