La Corée du Nord a fait le choix d’attacher sa survie à une stratégie de menaces de plus en plus crédibles

Le tir par Pyongyang d’un missile de moyenne portée ayant survolé le Japon mardi 29 août marque une étape nouvelle et grave.

D’une part, lors des deux précédents événements du même type (1998 et 2009), la fusée avait été présentée comme le vecteur d’un paisible satellite. D’autre part, la Corée du Nord affirme qu’il s’agit là d’un élément de sa stratégie de containment (endiguement) de l’île américaine de Guam (Pacifique nord-ouest).

Plus généralement, le programme nucléaire nord-coréen, poursuivi imperturbablement depuis au moins un quart de siècle, en dépit de multiples traités internationaux et accords diplomatiques spécifiques, s’est considérablement accéléré depuis l’arrivée de Kim Jong-un au pouvoir (2011), en particulier sur le plan balistique.

La mise au point de missiles, capables d’atteindre toute la moitié ouest du Pacifique (et en particulier les bases américaines qui s’y trouvent), donne une nouvelle dimension à l’arsenal nucléaire, déjà mis en évidence par cinq essais atomiques. Il suffirait désormais que ces bombes soient miniaturisées (processus en cours, suivant certains analystes) pour que la puissance nucléaire de Pyongyang soit pleinement opérationnelle.

Exceptionnelle agressivité externe

La folie serait de ne pas s’en inquiéter, dans la mesure où la Corée du Nord a déjà fourni de multiples preuves de son exceptionnelle agressivité externe (invasion de la Corée du Sud en 1950, attaque de navires américain et sud-coréen, nombreux attentats terroristes à l’étranger, y compris contre des avions civils…) et de son irrespect de tout principe internationalement reconnu (enlèvements répétés et meurtres de civils japonais ou sud-coréens ; trafics de drogue et de fausse monnaie ; exportation clandestine de matériels militaires prohibés, y compris nucléaires ; utilisation d’arme chimique dans le récent assassinat du demi-frère du dictateur, etc.).

Dans ces conditions, on ne peut donner tort aux vives réactions de Donald Trump, quelles que ridicules et inefficaces que soient les gesticulations qui les ont accompagnées. En effet, qu’ont donné les innombrables négociations, directes ou multilatérales, menées par les présidents américains précédents (Clinton signa, en particulier, en 1994 un accord qui aurait dû mettre fin au programme nucléaire), y compris George W. Bush, ainsi que les très considérables concessions obtenues d’eux par Pyongyang (ce fut en large partie le blé américain qui atténua la famine de la fin des années 1990) ? Strictement rien de durable. Il n’est même pas certain que le programme nucléaire en ait été retardé.

La Corée du Nord en a surtout profité pour gagner du temps. Elle a fait le choix, bien avant les interventions occidentales en Irak ou en Libye, d’attacher sa survie à une stratégie de menaces de plus en plus crédibles. Y était-elle acculée ? Certainement pas : jamais les Etats-Unis n’envisagèrent sérieusement de démanteler par la force le régime nord-coréen, sauf entre septembre et novembre 1950, en pleine guerre de Corée. Et des petits pays communistes qui défièrent Washington, tels Cuba ou le Vietnam, survécurent très bien sans bombe atomique.

L’irréalisme, voire l’absurdité, résident donc dans l’espérance en une issue négociée. Et on peut presque en dire autant, pour diverses raisons, de l’espérance en un changement radical d’attitude de Pékin, qui continue imperturbablement d’appeler à la modération face à Pyongyang, et a jusqu’ici empêché les sanctions votées par l’ONU d’être vraiment effectives – la nouvelle condamnation votée le 30 août n’est d’ailleurs pas assortie de nouvelles mesures.

Les communistes coréens et Mao Zedong

La Chine aurait beaucoup à perdre en une réunification de la Corée : à terme, la puissance de ce pays en serait accrue, et des revendications sur certains territoires chinois (en Mandchourie) liés à la Corée par l’histoire ou le peuplement pourraient s’en trouver relancées.

Par ailleurs, il suffit de visiter les musées et monuments consacrés en Mandchourie à la guerre de Corée pour se convaincre que la fraternité d’armes sino-nord-coréenne reste un facteur politique non négligeable. Les communistes coréens ont beaucoup contribué à la victoire de Mao Zedong dans la guerre civile, et Pékin a sauvé la Corée du Nord de la disparition par son intervention militaire massive de novembre 1950.

Kim Jong-un a montré à quel point il faisait peu de cas de la voie diplomatique.

D’une part, après quelques mois d’hésitation faisant suite à son arrivée inopinée au pouvoir à la suite de la mort prématurée de son père, il a rompu avec la sinusoïde de périodes de tension et de détente suivie par ses prédécesseurs : la tension est désormais constante et croissante.

D’autre part, de manière très significative, il a liquidé (en partie physiquement) la fraction « prochinoise » (et donc relativement modérée), présidée par son oncle Chang Song-thaek, et n’a saisi aucune des perches tendues par le nouveau président sud-coréen Moon Jae-in, pourtant élu sur un programme d’ouverture envers Pyongyang, en rupture avec l’attitude de confrontation de ses deux prédécesseurs : Séoul vient d’être contraint d’agiter la menace de représailles militaires de forte intensité et de se rapprocher de Washington comme de Tokyo.

La solution militaire pour quels bénéfices

Quant au « traité de paix américano-nord-coréen », réclamé à cor et à cri par le régime des Kim, et présenté par certains analystes occidentaux comme la solution à la crise, il ne pourrait qu’entériner la fin des sanctions internationales sans pour autant que Pyongyang ne renonce à son armement nucléaire, et, de manière encore plus inquiétante, il laisserait de côté une Corée du Sud que le Nord considère toujours comme une simple zone d’occupation américaine dotée d’un gouvernement fantoche.

Dans l’esprit des Kim, ce serait un premier pas vers une réunification à leur profit de la péninsule coréenne, tout comme les zccords de Paris américano-nord-vietnamiens en 1973 avaient préparé la liquidation du Sud-Vietnam par Hanoï en 1975.

Pour autant, la solution militaire agitée par Trump est-elle une option réaliste ? On voit assez bien les énormes coûts en tous genres qu’elle impliquerait. On en distingue moins clairement les bénéfices à attendre. Il conviendrait donc peut-être de s’en tenir à une médiocre et lâche prudence, en se contentant d’interdire toute prolifération extérieure de l’arsenal nord-coréen, et en comptant sur le temps qui défait toute chose.

Il faudrait cependant que d’ici quelques années, ou plus probablement décennies, le régime des Kim n’accomplisse pas de catastrophe pire que celles déjà effectuées, principalement à l’encontre de leur malheureuse population. Mais la longue durée est bien peu compatible avec le rythme des tweets, ou même celui des élections dans les pays démocratiques. L’est-elle davantage avec la recherche effrénée de succès sur la scène mondiale d’un régime largement fragilisé à l’intérieur ?

Jean-Louis Margolin, Maître de conférences à Aix-Marseille Université. Il est l’auteur (avec Claude Markovits) des « Indes et l’Europe. Histoires connectées, XVe-XXIe siècle », Paris, Gallimard, 2015.

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