La crise du coronavirus appelle à une OMS plus puissante

La crise du coronavirus appelle à une OMS plus puissante

Les commentaires à l’égard de la gestion de la crise par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) étaient jusqu’alors globalement positifs, en comparaison avec la gestion de la crise Ebola en 2014 : réaction rapide, transparence et diffusion des données épidémiologiques dès leur réception, clarté des messages sur la gravité de l’épidémie. Pourtant, depuis quelques jours, une petite musique se fait entendre remettant en question l’efficacité de l’organisation onusienne face à la crise et l’accusant d’être à la solde de la Chine. Ces attaques sont menées d’abord par l’administration américaine, Donald Trump accusant l’OMS de s’être «trompée sur beaucoup de choses», d’avoir critiqué sa réponse à la pandémie, et d’être «très centrée sur la Chine», allant jusqu’à menacer de diminuer les financements américains à l’OMS (qui représentent le quart de son budget global).

Au-delà de ces accusations, ayant certainement vocation à faire oublier le déni et la désinvolture de l’administration américaine face au coronavirus, plusieurs voix s’élèvent, appelant à la mise en place d’une nouvelle organisation internationale, sous forme de «consortium» ou de «task force» dépassant le cadre onusien, pour coordonner la réponse mondiale.

Il est évidemment important de rester critique à l’égard de l’OMS. Il y aurait effectivement beaucoup à dire des éloges, certainement trop marqués, du DTédros, directeur exécutif de l’OMS, à l’égard du président chinois au début de l’épidémie, ou du fait que l’organisation semble esquiver l’expérience de Taïwan, qui n’est membre ni de l’OMS ni des autres organisations du système des Nations unies, car la Chine considère l’île comme faisant partie intégrante de son territoire. Mais ces critiques ne doivent pas alimenter des polémiques inutiles et dangereuses. L’instrumentalisation des controverses autour du poids de la Chine au sein de l’OMS risque d’affaiblir profondément l’organisation, au moment où nous avons besoin d’une coordination internationale puissante. Ce n’est pas dans la phase aiguë d’une crise majeure comme celle que nous traversons aujourd’hui que l’OMS doit perdre son énergie à se justifier vis-à-vis de ceux dont elle dépend le plus, et l’organisation ne doit pas devenir le lieu des règlements de compte entre la Chine et les Etats-Unis.

Fragmentation

De plus, le champ de la santé mondiale est déjà fragmenté entre de nombreuses organisations (multiples fonds verticaux comme le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme ou programmes ad hoc comme le Pepfar, programme américain d’urgence contre le sida par exemple). Cette complexité pose déjà de nombreux problèmes de coordination et de cohérence. Appeler à la création de nouvelles structures ne pourrait que les aggraver, alors que la santé mondiale ne peut prendre le risque de davantage d’éclatement.

Le fait que l’OMS joue cette fois-ci le premier rôle parmi les organisations internationales dans la réponse au Covid-19 reflète également la capacité qu’a eu l’organisation de se réformer après sa réponse insuffisante à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014. Avec l’aide de ses Etats membres, elle a par exemple créé un programme de gestion des situations d’urgence sanitaire doté de son propre budget. Il serait dommage que ces investissements soient anéantis, alors qu’il est possible de les poursuivre, après une analyse critique de ce qui aura fonctionné ou pas dans la gestion de la crise du Covid-19.

Coordination globale

Cent jours après que l’OMS a été informée des premiers cas d’une «pneumonie d’origine inconnue» en Chine, l’organisation n’a pas failli dans son rôle normatif, produisant une cinquantaine de documents de référence à destination des Etats membres et lançant des messages clairs à l’égard de la communauté internationale. Les appels au dépistage massif du coronavirus (avec le slogan «Test, test, test !») n’ont pourtant pas été entendus par la grande majorité des gouvernements. Chacun d’entre eux semble uniquement concentré sur ses enjeux nationaux, développant des stratégies particulières et disparates, sans souci de coordination globale, alors même que la clé de ces nouvelles épidémies mondialisées réside justement dans la capacité de la communauté internationale à lutter collectivement.

Si un Etat manque à l’appel, c’est un problème pour tout le monde, par exemple parce qu’on ne saura pas si des maladies infectieuses émergent ou persistent sur son territoire alors qu’elles ont la capacité de se répandre à l’échelle mondiale, ou bien parce qu’on ne saura pas rapidement quelles stratégies de lutte contre la maladie fonctionnent, faisant perdre un temps précieux pour sauver des vies. Construire une telle coopération internationale nécessite d’avoir une organisation à vocation universelle, où tous puissent se retrouver, malgré les tensions politiques.

Par définition, l’OMS est une organisation intergouvernementale, avec les contraintes politiques et financières que cela suppose. Elle ne peut agir qu’en fonction des moyens et des pouvoirs que les 194 Etats qui la composent lui confèrent. En l’occurrence, ces moyens sont faibles (2 milliards d’euros en 2019) et surtout, l’OMS n’a aucun pouvoir de sanctions sur les pays qui ne respectent pas ses recommandations. C’est finalement précisément ce que lui reprochent ses détracteurs : l’organisation n’a pas le pouvoir de faire respecter ses directives. Ce que révèle la crise actuelle, c’est donc le besoin de plus d’OMS, pas de moins. Par exemple, si l’OMS avait autorité pour se rendre dans un pays en cas d’émergence d’une maladie infectieuse, sans avoir à négocier l’entrée sur le territoire des Etats, cela lui éviterait d’avoir à ménager leur susceptibilité comme elle l’a certainement fait avec la Chine. Si c’est là le problème principal, chiche, une fois la crise passée, étendons le mandat de l’organisation et donnons-lui plus de pouvoir !

Par Auriane Guilbaud, Maîtresse de conférences en science politique à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris 8 et chercheuse au CNRS et Stéphanie Tchiombiano, Maîtresse de conférences associée en science politique à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et coordinatrice du think tank «Santé mondiale 2030» —

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