La croissance des inégalités de participation n’épargne pas la présidentielle

Contrairement à ce qui avait été prévu par les instituts de sondages, l’abstention n’a non seulement pas atteint un niveau très élevé, dimanche 23 avril, mais elle reste conforme à la norme d’un premier tour de scrutin présidentiel. Comme d’habitude, ce sont environ 8 inscrits sur 10 qui se sont rendus aux urnes.

La présidentielle demeure ainsi la dernière élection épargnée par la démobilisation électorale qui affecte tous les autres scrutins. La comparaison avec les deux dernières présidentielles révèle quand même une légère tendance à la progression de l’abstention : 16,2 % au premier tour de 2007, contre 20,5 % en 2012 et 22,2 % dimanche.

Ces 6 points d’abstention en plus en dix ans méritent d’être considérés, car ils sont nourris par une progression des inégalités sociales de participation électorale. Les logiques de l’abstention sont relativement simples et donc prévisibles. L’abstention est un phénomène très largement déterminé socialement.

Comme permettent de l’établir les données issues des « enquêtes participation » de l’Insee, certains profils sociaux ne présentent quasiment aucun risque d’abstention : un retraité, diplômé du supérieur, ayant entre 65 et 70 ans avait ainsi 98 % de chances d’avoir voté au premier tour de scrutin de 2012.

A l’inverse, une ouvrière ayant entre 18 et 24 ans, non diplômée, présentait 33 % de risques de s’être abstenue lors de cette même élection. Etre jeune, ne pas avoir accompli d’études, appartenir aux classes populaires sont autant de facteurs qui favorisent l’abstention.

Ce constat se vérifie lors de toutes les élections. L’abstention – à laquelle s’ajoute la non-inscription sur les listes électorales (11 % des citoyens cette année) – est donc porteuse d’inégalités sociales et démographiques de participation politique. Et plus l’abstention est élevée, plus ces inégalités augmentent.

C’est pourquoi la présidentielle reste le moins inégalitaire des scrutins, tandis que les législatives, organisées deux mois plus tard, se caractérisent par une explosion des inégalités de participation. Ainsi, en 2012, au premier tour de scrutin, si l’écart de participation entre les 18-24 ans et les 65-70 ans n’était « que » de 16 points à la présidentielle, il atteignait 38 points lors des législatives.

Démobilisation des jeunes et des moins diplômés

De tous ces constats, il résulte que la légère progression de l’abstention enregistrée ce dimanche a, selon toute probabilité, été principalement alimentée par les fractions les plus jeunes et les plus populaires de l’électorat. Nous l’avions déjà constaté en 2012, et les futures études permettront sans doute de le mesurer avec précision : les 6 points de participation perdus en dix ans s’expliquent principalement par la démobilisation des plus jeunes et des moins diplômés.

Ainsi, entre 2007 et 2012, la participation a-t-elle chuté de 8,9 points chez les 18-29 ans, contre seulement 1 point chez les 70-79 ans. De même la chute est-elle presque deux fois plus rapide (– 6,5 points) chez les électeurs qui n’ont aucun diplôme par rapport à ceux diplômés du supérieur (– 3,7 points). Tout cela s’est sans doute encore un peu aggravé ce dimanche.

Cette croissance des inégalités de participation, qui n’épargne pas l’élection présidentielle, est d’ailleurs très aisément perceptible d’un territoire à l’autre. Même à une échelle aussi imprécise que la commune, les écarts sont très sensibles : les Parisiens inscrits sur les listes électorales se sont mobilisés dimanche à 83,8 %, tandis que les inscrits de Saint-Denis ne votaient qu’à 66,3 %. Ces plus de 17 points d’écart expliquent sans doute pour une part le résultat de l’élection.

Les candidats dont le socle électoral se compose principalement de cadres, de diplômés, de retraités et de propriétaires sont en effet largement favorisés par l’abstention. A l’inverse, avoir pour base électorale la jeunesse et les milieux populaires constitue un désavantage concurrentiel, même à l’élection présidentielle.

Les deux bureaux de vote que nous étudions depuis 2007 permettent d’entrevoir les conséquences de cette abstention différentielle. L’un se situe dans le quartier du haut Marais, au centre de Paris : les professions intellectuelles très qualifiées y sont largement surreprésentées.

L’autre se situe aux confins de Saint-Denis et de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), et réunit des électeurs populaires, dont une proportion importante est issue de l’immigration. En 2007, le pourcentage de votants avait été très proche au sein de ces deux territoires : 3 points d’écart seulement. Dimanche 23 avril, l’écart était, en revanche, de 20 points (85,3 % de participation dans le centre de Paris, contre 65,2 % à Saint-Denis), alors qu’il était déjà supérieur à 13 points en 2012 (80,3 %, contre 66,7 %).

On comprend, dès lors, tout l’avantage concurrentiel qu’il peut y avoir à être le candidat favori des cadres supérieurs parisiens (le bureau du Marais a accordé 46,1 % à Emmanuel Macron), plutôt que celui des cités HLM (la cité de Saint-Denis a voté à 48,5 % pour Jean-Luc Mélenchon). Dans la même perspective, il est intéressant de constater qu’au sein des dix départements les plus abstentionnistes, Emmanuel Macron n’arrive qu’une seule fois en première position, quand c’est le cas dans neuf des dix départements les plus participationnistes.

Des études plus approfondies devraient ainsi permettre de vérifier qu’Emmanuel Macron était, hier, le favori des catégories sociales les plus mobilisées. C’est sans doute là aussi que réside l’une des clés de sa fortune électorale.

Céline Braconnier (Directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye) et Jean-Yves Dormagen (Professeur de science politique à l’université de Montpellier. Ils sont coauteurs de « La Démocratie de l’abstention » (Gallimard, 2007).

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